Un jour ce sera vide de Hugo Lindenberg

Chronique – Un jour ce sera vide de Hugo Lindenberg

Un jour ce sera vide de Hugo Lindenberg

Contemporain

Sélection Prix Audiolib 2022 – Roman lu par Clément Hervieu-Léger.

J’ai découvert ce roman dans le cadre du Prix Audiolib, et je dois dire que j’apprécie de plus en plus ces histoires autour de l’enfance, avec leurs jeunes narrateurs et le regard qu’ils portent sur le monde. J’avais déjà eu un excellent ressenti avec le magnifique roman de Clara Ysé, Mise à feu, également lu dans le cadre du Prix Audiolib. Un jour ce sera vide m’a laissé un sentiment tout aussi agréable, bien que totalement différent.

Le narrateur, un jeune garçon d’une dizaine d’années, passe les vacances d’été en Normandie, chez sa grand-mère. Sur la plage, quand il n’occupe pas son temps à jouer avec les méduses, il observe d’un oeil curieux mais discret, les familles autour de lui. Un jour, il va faire la rencontre de Baptiste, un garçon du même âge. Dès lors, va naître entre eux cette amitié qu’on ne connaît que pendant les vacances, aussi intense qu’éphémère.

« Caché sous le parasol, allongé sur une natte, une visière masquant mes yeux, j’observe le ballet des familles sur la plage. Mieux, je l’absorbe. L’intimité en plein air révèle quelques-uns des mystères tant convoités de la vie quotidienne des vrais enfants : l’onde paternelle pour laquelle on érige des châteaux, l’embarrassante attention des mères. »

Ce roman, c’est un peu une parenthèse hors du temps, un instant de nostalgie lors duquel ce jeune narrateur partage avec nous son regard sur le monde. Il n’y a pas d’intrigue au coeur de cette histoire, et pourtant, ces pages sont véritablement captivantes. Il se dégage une certaine langueur, renforcée par la saison estivale, qui rend la narration totalement hypnotique. J’ai ressenti de manière tangible les sensations de ce garçon, comme une réminiscence de mes propres impressions d’enfant.

Solitaire, un peu timide, le garçon vit par procuration la vie « normale » qu’il aimerait avoir. Il observe avec envie l’intimité des familles sur la plage. Il les idéalise, les imagine parfaites, comme celle de son nouvel ami Baptiste. Cette idéalisation le complexe, lui procurant parfois un sentiment de honte un peu confus. La honte de sa grand-mère, qui roule les « r », et qui offre du « foie haché » en guise d’amitié. De sa tante, « la folle », dont il redoute la « monstruosité » de l’apparence. Deux femmes tellement différentes de la mère de Baptiste, sensuelle, souriante, divine. Trois figures féminines qui tiennent une place importante dans le récit, quand les figures masculines sont absentes (le père), ou reléguées au second plan (le père de Baptiste).

Malgré tout, on ressent clairement l’amour que le garçon porte à sa grand-mère. Il l’estime, connaît ses silences, se nourrit de ses habitudes et de ses gestes d’affection. Une grand-mère touchante, rendue lointaine par les non-dits, mais qui paraît démesurément forte, tel un roc indestructible. Dans cette villa rarement troublée par les mots et la joie, l’arrivée de la tante advient comme une turbulence. Elle détonne dans cet environnement si calme. Elle qui apparaît meurtrie par la vie, vient expulser les paroles, libérer la colère. Des accès de fureur aussi courts qu’effrayants, qui déstabilisent l’enfant. « Elle se vidait du trop-plein de silence de la Villa. » Pourtant, elle n’est pas antipathique, simplement sa maladie l’a abîmée, et elle semble porter tout le poids du monde (ou plutôt de sa famille) sur ses épaules.

« Ce soir, je n’ai eu d’yeux que pour la mère de Baptiste et ni son père, ni sa sœur, ni Baptiste lui-même n’ont pu me distraire de sa sensualité. À table je prie pour qu’elle se lève, dispersant son parfum jusque sur ma langue afin que je puisse, entre deux bouchées, avaler un peu de son prestige. […] Je sais que je ne supplanterai jamais Baptiste dans son cœur. Alors je joue à l’homme du monde. Spirituel et attentif comme un chien savant. Plaire aux mères est une science dont j’expérimente les artifices depuis la nuit des temps. »

Heureusement, pour alléger cette atmosphère un peu sombre, il y a Baptiste. Le seul personnage à être véritablement nommé dans cette histoire. Un garçon aussi rayonnant et confiant que le narrateur semble hésitant et mal à l’aise dans ce monde. « Ce qui fait de Baptiste un vrai garçon, un garçon exceptionnel, c’est qu’il n’a besoin de rien pour en être un. » Baptiste, ses invitations à dormir, leurs virées à la plage, et puis sa mère. Celle dont le narrateur souhaite attirer l’attention, comme une nécessité impérieuse pour sa vie. Car il y a cela aussi dans le récit, le poids de l’absence. Encore un non-dit que l’enfant ignore ou plutôt dissimule. Un secret qu’il garde enfoui, attendant le moment opportun, mais surtout la personne de confiance qui saura le délivrer de ce fardeau, « comme au confessionnal. »

Un jour ce sera vide évoque l’enfance avec sensibilité et poésie. Un récit parfois empreint de mélancolie, que l’on quitte avec regret, laissant dernière nous les grains de sable chaud et les méduses échouées sur la plage.

Mon avis sur la version audio :

L’interprétation de Clément Hervieu-Léger est aussi aérienne que vivante. Il rend avec justesse la parole de l’enfant, le flot de ses pensées, la consistance de son regard. Une belle écoute !

Date de lecture – 24-25 mars 2022


L’avis de mes collègues jurées

Parce que nous n’avons pas toujours les mêmes ressentis ou la même façon de parler d’un livre, voici quelques avis de mes collègues de jury. Concernant Un jour ce sera vide, il semble que la majorité n’ait pas apprécié cette histoire. Aussi, je vous propose de lire leurs chroniques.

Elles n’ont pas été emballées

Audrey, du blog Liseuse hyperfertile. Lire la chronique.
Marion, du blog Mademoiselle Farfalle. Lire la chronique.
Maeve, du blog Mademoiselle Maeve. Lire la chronique.


Infos et Quatrième de couverture

Un jour ce sera vide de Hugo Lindenberg
Edition papier : Bourgois – Parution : 20/08/2020 – 176 pages – ISBN : 9782267032673
Edition audio : Audiolib – Parution : 16/03/2022 – Durée : 4h13min – ISBN : 9791035408152 – Lu par Clément Hervieu-Léger

« C’est un été en Normandie. Le narrateur est encore dans cet état de l’enfance où tout se vit intensément, où l’on ne sait pas très bien qui l’on est, où une invasion de fourmis équivaut à la déclaration d’une guerre qu’il faudra mener de toutes ses forces. Un jour, il rencontre un autre garçon sur la plage, Baptiste. Se noue entre eux une amitié d’autant plus forte qu’elle se fonde sur un déséquilibre : Baptiste a des parents parfaits, habite dans une maison parfaite. Sa famille est l’image d’un bonheur que le narrateur cherche partout, mais qui se refuse à lui. Flanqué d’une grand-mère à l’accent prononcé, et d’une tante « monstrueuse », notre narrateur rêve, imagine, se raconte des histoires, tente de surpasser la honte sociale et familiale qui le saisit face à son nouvel ami. Il entre dans une zone trouble où le sentiment d’appartenance est ambigu : vers où va, finalement, sa loyauté ? Ecrit dans une langue ciselée et très sensible, Un jour ce sera vide est un roman fait de silences et de scènes lumineuses qu’on quitte avec la mélancolie des fins de vacances. Hugo Lindenberg y explore les sentiments, bons comme mauvais, qui traversent toute famille, et le poids des traumatismes de l’Histoire. »


Mes recommandations en rapport avec ce livre

Mise à feu de Clara Ysé – Lire la chronique
Pour la poésie et l’enfance.

Treize d’Aurore Bègue – Lire l’avis
Pour l’été, la plage, la fin de l’enfance.

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Cet article a 9 commentaires

  1. Sabine Juppont

    Je me laisse guidée par ton compte rendu sur un livre qui promet en émotion 😊

    1. Caroline

      Merci Sabine. Je pense que je vais intégrer les liens vers les chroniques de mes collègues jurées, car nous avons toutes des ressentis différents et je sais que celui-ci, tout comme « Le parfum des cendres », a donné lieu à quelques avis plus mitigés.

  2. Lily

    J’aime beaucoup les romans empreints de nostalgie, je me laisserais bien tenter par celui-ci 😊

    1. Caroline

      Eh bien, si un jour tu le lis, je serais ravie de découvrir ton avis.

  3. J’aime beaucoup ton avis plein de sensibilité (comme d’habitude) qui apporte un autre regard sur le roman que celui que je suis en train de me forger et qui est moins positif. Je partage néanmoins ton avis sur cette langueur hypnotique 🙂

    1. Caroline

      J’ai hâte de lire ce que tu en auras pensé. En tout cas, c’est vrai, j’ai bien aimé l’histoire de ce garçon, et certaines images me trottent encore dans la tête. Mais je conçois que ce roman ne plaise pas forcément.

      1. En tout cas, même si je n’accroche pas, je trouve vraiment que tu en parles bien…

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