Chronique – La dernière allumette de Marie Vareille

La dernière allumette de Marie Vareille

Contemporain

Date de lecture : 6-7 mars 2024

Lecture audio → Roman lu par Caroline Tillette & Renaud Bertin. ❤️

Roman lu dans le cadre du Prix Audiolib 2024.

J’avais hâte de découvrir ce nouveau roman de Marie Vareille, et j’ai eu la joie de le retrouver parmi la sélection du Prix Audiolib 2024 ! De cette autrice, je n’avais lu que deux romans, Ainsi gèlent les bulles de savon, que j’avais beaucoup aimé et Le syndrome du spaghetti que j’avais adoré. Alors, je partais confiante pour cette écoute et je n’ai pas été déçue. L’histoire, les thématiques, les narrateurs, tout dans ce roman m’a séduite !

« Dans la vie, de toute façon, il y a de l’ombre et de la lumière. La lumière, elle est pas distribuée pareil pour tout le monde. »

Ce roman nous emmène à la rencontre d’Abigaëlle, une jeune femme qui s’est retirée dans un couvent en Bourgogne, il y a quelques années déjà. Rapidement, on comprend qu’elle est ici suite à un évènement traumatique que son esprit a oublié, ou peut-être enfoui. Depuis, elle doit vivre avec ses trous de mémoire. Gabriel, son frère, artiste reconnu, lui rend visite une fois par semaine, qu’il pleuve ou qu’il vente. Alors qu’elle a fait vœu de silence, lui parle beaucoup, de sa vie, de Zoé surtout. Mais Abigaëlle aimerait ne pas écouter, ne pas entendre ce qu’il a à dire, car elle seule sait quelle part d’ombre se cache derrière l’artiste.

La dernière allumette nous plonge dans la vie de ces personnages, alternant entre le présent et le passé, grâce à des extraits du journal intime d’Abigaëlle enfant. Des extraits portés avec une justesse bouleversante par Caroline Tillette, la narratrice du livre audio. J’ai été incroyablement émue par la voix de cette jeune Abi, si fraîche, si innocente ! Grâce à ce journal, nous allons partager des moments importants de leur enfance, au sein d’une famille que l’on comprend vite dysfonctionnelle.

« Le travail du docteur Hassan dans son bureau, c’est de froncer les sourcils. Et aussi de m’écouter raconter ma vie ou de me regarder faire des dessins en hochant la tête. Ça s’appelle être un charlatan de psy, m’a expliqué Papa. »

Abi a sept ans lorsque sa psychiatre, le docteur Hassan, l’incite à écrire ce qu’elle ressent dans des cahiers, pour « [l]’aider à ranger [son] cerveau », parce que « les pensées, c’est plus facile à ranger par écrit que quand on parle ». Il faut dire qu’Abi est une petite fille particulièrement intelligente, le genre qui pense en arborescence. Ses paroles sont d’autant plus percutantes qu’à travers son regard d’enfant, sa situation familiale semble tout à fait ordinaire. Son papa est gentil, elle l’adore et il l’adore aussi, d’ailleurs, il aime clamer sa fierté au monde entier : « Regardez-la bien, ma petite surdouée ! Ça, c’est ma fille, elle a sauté deux classes ! Ce sera la première femme présidente, la première femme sur la Lune ! Vous verrez, vous allez entendre parler d’elle. » Seulement voilà, son papa est violent avec sa maman, ce que notre regard d’adulte perçoit d’emblée. Derrière les mots, derrières les actes, entre les lignes, tout transpire la peur, la violence et l’emprise pour qui veut voir.

J’ai beaucoup aimé la belle relation entre Abi et son frère Gabriel, ensemble, envers et contre tout. Il la protège, la rassure, la pousse à avancer. « Les grands protègent les petits, c’est la loi de la jungle comme dit Gabriel qui s’y connaît pas vraiment en jungle, je pense. » Mais lui, qui va le protéger ? Elle semble pourtant consciente de « l’anormalité » de sa famille, ce qui l’incite plus tard à conclure un pacte avec son frère bien-aimé. Pour éviter de reproduire malgré eux cette violence, pour briser cette chaîne infernale, aucun des deux ne devra se marier ni avoir d’enfants. Mais Gabriel a rompu ce pacte le jour où il est tombé amoureux de la merveilleuse, si radieuse Zoé. Une situation qui va raviver les inquiétudes d’Abi, et l’exhorter à se souvenir de cet évènement qu’elle semble avoir oublié et qui doit à tout prix émerger des tréfonds de son cerveau.

Il y a un côté tellement tragique dans ce récit, dans la conscience de cette violence, dans la peur latente de devenir bourreau aussi bien que victime. On assiste à l’enchaînement presque fataliste qui prend forme sous nos yeux dans le présent, auquel s’ajoutent les passages du journal d’Abi, comme autant de coups portés au cœur. Comme le souligne le docteur Garnier, « La pente de la violence ne se prend que dans une direction : vers le pire. C’est une pente glissante, facile à descendre, mais quasiment impossible à remonter ». Mais quasiment ça ne veut pas dire entièrement, non ?

Les séances dans le cabinet du docteur Garnier sont éclairantes. On y constate la réalité du quotidien de ces femmes battues, (mais rappelons qu’il y a aussi des hommes battus), qui subissent une emprise physique et psychologique tellement importante qu’elles ne peuvent s’extraire de cette situation, pas seules du moins, voire pas du tout. Malgré tout, elles éprouvent encore un fort sentiment d’amour envers leur conjoint, auquel se greffe le souvenir des débuts d’une relation idéale, idyllique même, conforme à tout ce dont elles rêvaient, jusqu’à cette première fois où… Abi elle-même semble ressentir ce tiraillement profond. Elle aime son père car il est aimant avec elle, et en même temps, elle est consciente qu’il fait du mal à sa mère. Mais l’un ne peut pas aller avec l’autre dans son esprit d’enfant.

Mais, si l’on se fie à la boîte, il reste encore une allumette pour apporter la lumière, et « la lumière, c’est la seule chose qui soigne la peur et la colère ».

La dernière allumette est une histoire qu’on ne veut pas lâcher et dont l’intrigue en filigrane m’a subjuguée de bout en bout, retournée même, c’est le cas de le dire. Cela fait maintenant plusieurs jours que j’ai terminé ce roman, et il ne cesse de se rappeler à moi. Je pense souvent à cette histoire, à ces merveilleux personnages, à cette thématique si difficile qui devrait éveiller encore plus largement les consciences. Je pense à Abi, beaucoup, non sans émotions, et j’aimerais de tout cœur vous inviter à la rencontrer ! Un livre merveilleusement écrit, beau et émouvant.

Mon avis sur la version audio : ❤️

Dans la version Audiolib, La dernière allumette est lu par deux narrateurs brillants, Caroline Tillette et Renaud Bertin. Abigaëlle étant au cœur de ce récit, Caroline Tillette en est la voix principale et je dois avouer qu’elle m’a subjuguée sur tous les plans. J’ai ressenti une émotion immense à l’entendre lire les extraits du journal d’Abi. Je me suis laissée porter par les mots de cette enfant, que je chérissais déjà. J’ai entendu sa candeur, sa bienveillance, j’ai souri à ses pensées d’enfant. J’en ai encore les larmes aux yeux rien que de réécouter l’extrait audio choisi par Audiolib. Et les émotions sont parfois si intenses, qu’il fallait bien la voix de Renaud Bertin pour m’en remettre. Ce qu’on entend dans le cabinet du docteur Garnier est très dur, mais l’intonation de Renaud Bertin m’a permis de prendre du recul, de calmer mes émois. Un duo absolument fantastique, et une narration qui apporte un supplément d’âme à ce magnifique texte de Marie Vareille. Une écoute coup de cœur, comme cela m’arrive quand le roman et l’interprétation sont en parfaite harmonie !

La dernière allumette de Marie Vareille
Éditeur : Audiolib – Parution : 07/03/2024 – Durée : 7H45min – ISBN/ASIN: 9791035416034 – Lu par Caroline Tillette & Renaud Bertin.
📕En broché chez Charleston, 2024

Depuis plus de vingt ans, Abigaëlle vit recluse dans un couvent en Bourgogne. Sa vie d’avant ? Elle l’a en grande partie oubliée. Elle est même incapable de se rappeler l’événement qui a fait basculer sa destinée et l’a poussée à se retirer du monde.
De loin, elle observe la vie parisienne de Gabriel, son grand frère, dont la brillante carrière d’artiste et l’imaginaire rempli de poésie sont encensés par la critique. Mais le jour où il rencontre la lumineuse Zoé et tombe sous son charme, Abigaëlle ne peut s’empêcher de trembler, car elle seule connaît vraiment son frère…

Un trésor de sensibilité et d’émotions brillamment construit. Marie Vareille démontre une nouvelle fois son talent unique pour nous tenir en haleine de la première à la dernière page.

Et comme les mots peuvent sembler parfois bien fades, rien de mieux qu’écouter un extrait pour se faire un avis.

2 J'ai lu/aimé cet article

Cet article a 24 commentaires

    1. Caroline

      😁C’est facile avec ce genre de livre car ils suscitent tout un panel d’émotions.

  1. Les retours sont extrêmement positifs sur ce roman, ce qui me donne encore plus envie d’enfin découvrir l’autrice. Désenchantées est dans ma pile à lire et j’espère l’en sortir d’ici quelques jours/semaines. Si j’accroche à son style, il est certain que La dernière allumette (et Le syndrome du spaghetti) figurera en bonne place dans ma wish list !

    1. Caroline

      Comme je te conseille la lecture de La dernière allumette ! ❤️ Je n’ai jamais lu Désenchantées, mais j’avais adoré deux autres de ses romans.

  2. J’aime beaucoup Marie Vareille, j’ai déjà lu deux de ses romans, alors j’aimerais bien découvrir celui-ci également !!

    1. Caroline

      Un très bon roman, je trouve, et j’espère que tu auras l’occasion de le découvrir car il est marquant.

  3. Ça n’est pas tout à fait ma came, mais évidemment tes mots sont hyper touchants. Je le note pour le cas où je sens que ça peut plaire à quelqu’un de mon entourage !

    1. Caroline

      Tu fais bien, je suis certaine qu’il peut plaire à beaucoup de monde ! 😊

  4. Ludivine

    Cette lecture t’a touchée, ça se sent dans tes mots. Notamment les passages du journal intime de Abi, ses rencontres avec la psychiatre. Et malgré la belle construction du personnage d’enfant, l’amour qu’elle porte à son papa, on sent la violence, les non dits, la frayeur. Toutes ces émotions qui ne peuvent être dites qu’avec le cœur mais que tu as réussi à retranscrire ici. Merci pour ces belles chroniques que tu nous offres Caroline 🙂

    1. Caroline

      Merci Ludivine ! C’est vrai que c’est un roman qui soulèves pas mal d’émotions, mais la façon d’aborder la thématique est bien différente d’autres romans sur le sujet que j’ai pu lire. Par exemple, on n’est pas dans le même registre que « Sa préférée ». Marie Vareille arrive toujours à insuffler un peu de lumière dans les ténèbres.

      1. Ludivine

        Ça c’est une bonne chose, un peu de lumière parmi les ténèbres. C’est souvent ce que je redoute avec ces récits, que les thèmes soient si prononcés qu’il efface les petits instants lumineux qui peuvent égayer l’histoire. Apparemment l’auteure n’a pas oublier d’offrir un peu de chaleur ici, et ça c’est un bon point. C’est bon à savoir, merci Caroline. 🙂

  5. Pat0212

    Je ne connais pas cette auteure, mais tu me donnes envie de découvrir cette belle histoire. Bonne journée

  6. Domi

    je suis justement en pleine écoute, et j’ai du mal à le lâcher ! je lirai ta chronique quand je l’aurai fini

  7. loeilnoir

    Quelle voix douce, pleine d’émotions et quelle profondeur de sentiments ! Encore une lecture vers laquelle je n’irai pas de moi-même et pour laquelle je me trouve finalement tentée grâce à ce retour très intéressant ! Je le note, merci Caroline!

    1. Caroline

      Merci Lison ! C’est une lecture qui marque !

  8. Un roman qu’il me tarde de découvrir ! Je le lis prochainement. Merci pour ton joli retour.

    1. Caroline

      Merci Julie ! Je suis quasi certaine qu’il va beaucoup te plaire et j’ai hâte de lire ton ressenti.

  9. Un roman qui a l’air plein d’émotions. On sent à quel point il t’a touchée… Et tu donnes envie de découvrir l’histoire de cette petite fille et de façon générale cette histoire mettant les lecteurs en prise avec un thème difficile.

    1. Caroline

      Merci Audrey ! C’est vraiment un roman à découvrir (et écouter), avec des personnages forts, comme je les aime. 😊

  10. Hedwige

    Comment résister à tes mots, à tes émotions et à ton émerveillement devant la lecture orale de ce roman ? Merci Caroline , je m’étais fait un préjugé de facilité sur cette auteure, préjugé qui tu me permets de jeter à la poubelle.

    1. Caroline

      Oh merci Hedwige, pourtant les mots manquent parfois pour exprimer ce qu’on ressent. Et l’extrait choisi par Audiolib est vraiment parfait ! Marie Vareille est une autrice qui me touche beaucoup, elle aborde souvent des thématiques difficiles dans ses romans (je n’en ai lu que trois mais ça a été le cas des trois) et elle a une très belle plume. Le syndrome du spaghetti, par exemple, est un roman orienté davantage pour la jeunesse, mais dont le sujet est dur. C’est vraiment une autrice à découvrir je trouve.

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