Chronique – Les vagabonds de Richard Lange

Les vagabonds de Richard Lange

Thriller fantastique

Date de lecture : 4-6 mars 2024 – Emprunt médiathèque numérique

États-Unis, 1976. Deux frères, un gang de motards nommé Démons et un père endeuillé sillonnent le sud-ouest du pays. Tous à leur manière sont des chasseurs, aucun d’entre eux ne se connaissent, jusqu’à ce que leur route se croise. Dans ce roman choral, Richard Lange nous emmène au cœur d’une Amérique où règne la noirceur, celle des exclus de la société qui tentent de survivre, bien loin du rêve américain, dans l’indifférence la plus crasse.

« Faut enterrer vos corps ou alors les brûler. Les faire disparaître. C’est la règle pour tous les vagabonds : effacer vos traces. Sinon les gens feront vite le rapprochement et ce serait notre mort à tous. C’est ce qui est arrivé en Europe dans le temps, m’a raconté Jesse. Les vagabonds de là-bas faisaient plus attention et les gens ont pigé, alors ils leur ont couru après et les ont presque tous tués ou bien chassés ailleurs. C’est là que les premiers sont arrivés ici aux États-Unis d’Amérique. »

Ce roman raconte l’histoire de vagabonds, sans domicile, sans emploi, sans cesse en mouvement, parcourant le pays sans but précis si ce n’est celui de survivre. Car ces vagabonds ne sont pas humains. Ce sont des êtres quasiment immortels, qui se nourrissent de sang et vivent la nuit, à l’abri des rayons ardents du soleil. Vampires ? Oui certes, mais ce serait réducteur de les nommer ainsi, en référence à un imaginaire bien trop ancré dans nos esprits et qui ne reflète pas tout à fait ce qu’ils sont en vérité. Car ces vampires-là sont tellement humains que si ce n’étaient ces particularités étranges, l’on pourrait les croire semblables à nous en tous points. Ils ont leurs parts d’ombre et de lumière, bien que, comme nous, certains soient plus mauvais que d’autres.

Un roman qui offre des points de vue différents, à commencer par celui de Jesse. Jesse est un vagabond, qui s’occupe de son frère Edgar, « handicapé mental », depuis le décès de leur mère, il y a de cela soixante-dix ans. J’ai été particulièrement touchée par la relation entre ces deux personnages, mais surtout par Jesse, pour lequel mon attachement a été foudroyant. « Trois quarts de siècle qu’il vit de nuit, aux heures ébène où les monstres chassent et où les bonnes gens restent à l’abri dans leurs maisons. Depuis qu’il a mué, l’aube est une peine capitale, le moindre rayon de soleil un rasoir chauffé à blanc. » Un être empreint de mélancolie, et qui semble porter tout le poids du monde sur ses épaules. Il faut dire que son frère n’est pas facile. « Edgar est un grand gaillard d’un bon mètre quatre-vingt-trois, plus costaud que Jesse, épais comme un bœuf et de plus en plus gros au fil des années. Il aura toujours cinquante ans au-dehors et dix dans sa tête, un enfant portant une coquille d’homme, et Jesse devra éternellement veiller sur lui car il l’a promis à leur mère. » Un grand type ayant l’apparence d’un cinquantenaire mais avec l’esprit d’un enfant. Alors il faut lui parler, le rassurer, lui expliquer l’art de ne pas se faire prendre, et comment faire taire le petit diable qui accapare son esprit. Un diable à l’appétit démesuré, bien souvent mauvais conseiller, qui n’apporterait que son lot de peines. Une fois par mois, les frères se nourrissent de marginaux dont la société s’évertue à nier l’existence et qui ne manqueront à personne. Mais, quand leur chemin va croiser celui de Johana, une jeune humaine serveuse dans un bar, leur existence va s’en trouver toute chamboulée.

Johana ressemble comme deux gouttes d’eau à son amour perdu, ce qui plonge Jesse dans un dédale de souvenirs. « La fille est le portrait craché de Claudine, la belle Claudine au destin si tragique, disparue depuis, oh mon Dieu, soixante-dix ans déjà. La seule femme qu’il a jamais aimée, la seule femme qu’il aimera jamais. » Sans le savoir, elle va semer le chaos dans leur existence fragile, en volant le précieux bien d’un gang de motards aux dents longues, les Démons. Un bien convoité par tous les vagabonds, dont les propriétés incroyables sont capables d’assouvir la soif pendant une année. Menés par Antonia et Elijah, ces Démons ne seront pas prêts à lâcher l’affaire, il en va de leur honneur, ils poursuivront leurs proies sans relâche, « dans un bruit de tonnerre », la vengeance en étendard.

Mais les vagabonds ne sont pas les seules voix de ce récit, il y a aussi celle des victimes, par le biais de Charles Sanders, un humain dont le fils Benny a été assassiné dans des circonstances étranges, deux ans auparavant, à Los Angeles. Nous vivons l’action à travers les confessions épistolaires qu’il adresse à sa femme. Incapable de trouver le repos, il a quitté sa femme pour arpenter les routes des États-Unis, espérant retrouver le meurtrier de son fils et réclamer vengeance. Lui aussi est un laissé-pour-compte, un homme noir que la police a eu tôt fait d’évincer, peu concernée par sa soif de vérité.

Alors que chasseurs et proies se confondent dans les profondeurs de la nuit, la tension et l’adrénaline s’invitent, exhalant une odeur âcre de poussière et de sang. Le rythme presque contemplatif des premiers chapitres laisse place à des scènes d’action haletantes, où la violence semble la seule réponse possible. Une intrigue efficace et un dernier acte époustouflant !

Avec Les vagabonds, Richard Lange nous propose un roman étonnant, à la croisée des genres, flirtant avec le fantastique, le thriller, mais aussi le roman noir. Un livre touchant, empreint de violence, à la fois tragique et poétique. Je ressors conquise par cette lecture !

Ils en parlent aussi : Yvan, Julie.

Les vagabonds de Richard Lange
Éditeur : Rivages – Parution : 10/01/2024 – 336 pages – ISBN/ASIN: 9782743661717 – Titre original : Rovers

Été 1976. Jesse et son frère Edgar, handicapé mental, sont sur la route à la recherche de victimes. Ce sont des « vagabonds », des êtres nocturnes obligés de consommer du sang humain pour survivre.
Depuis soixante-dix ans, ils se cachent en marge de la société, errant de ville en ville, traquant les laissés-pour-compte dont ils se nourrissent. Une nuit, les deux frères rencontrent une jeune femme qui bouleverse leur sinistre routine et plonge leur existence dans le chaos.
Au cours de leur cavale, ils croiseront le chemin d’un gang de motards et d’un père aux trousses du meurtrier de son fils, pour aboutir à Las Vegas à la veille du bicentenaire des États-Unis.

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Cet article a 17 commentaires

  1. J’ai l’impression que cela rendrait très bien en film !
    Zina des Pipelettes en parlent m’avait déjà rendu curieuse avec ce roman et je continue à l’être après ton retour 🙂

    1. Caroline

      Si tu aimes les thrillers, et accessoirement le fantastique, il pourrait te plaire !

  2. floredelain

    J’ai adoré ce roman, ton article parle du « petit diable » que j’ai trouvé plus effrayant qu’aucun des vagabonds…

    1. Caroline

      Oui, car tu sens qu’il peut rapidement peser de l’autre côté de la balance !

      1. floredelain

        C’est ça, et autant les vaagabonds tuent par nécessité, autant le petit diable est pure méchanceté et n’a aucune limite.

  3. Ludivine

    C’est un titre que j’avais repéré aussi sur le blog de Yvan et qui m’avait intriguée concernant son traitement de la société. Et l’utilisation du mythe du vampire, de manière aussi revisité, pourtant ce n’est pas une créature que j’affectionne particulièrement mais c’est justement ce qui m’attire ici. Ce ne sont pas des créatures et bien des humains, différents de ce que l’on connait mais humains tout de même. Tu rajoutes un peu plus à ma curiosité sur ce livre qui semble se défaire des codes et mélanger les genres. 🙂

    1. Caroline

      Oui le côté vampire est finalement assez secondaire, je trouve, dans cette intrigue. Peut-être davantage prétexte à d’autres thématiques telles que la mort etc. En tout cas, c’est un très bon thriller je trouve !

  4. Sandrine

    Voilà une variation vampirique avec des personnages qui semblent très fouillés. On a vraiment envie d’en savoir plus.

    1. Caroline

      C’est un thriller fantastique mais je dois bien avouer qu’en dehors des personnages qui sont des sortes de vampires, le côté fantastique n’est pas si présent. C’est davantage le thriller qui prime.

  5. Tu n’es pas la première qui me donne envie je le mets dans ma whislist il me faut bien cela pour mon 🎂 merci pour ton retour toujours très intéressant 😅😘

    1. Caroline

      Merci Christine, c’est un très bon thriller, du moins, comme je les aime !

  6. ça a l’air d’une lecture atypique et marquante. Le côté roman noir mêlé au fantastique est étonnant mais semble fonctionner.

    1. Caroline

      C’est atypique car à la croisées des genres, mais c’est surtout un thriller, la part de fantastique étant uniquement représentée par le côté vampirique de ces êtres. Cela étant, on a une intrigue, un côté noir et de l’action, bref, un roman comme je les aime !😊

      1. Et qui change de ce que je lis ce qui le rend des plus tentants 🙂

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