Chronique – Les naufragés du Wager de David Grann

Les naufragés du Wager de David Grann

Récit historique, Aventure

Date de lecture : 19-21 nov. 2023

Lecture audio → Roman lu par Renaud Bertin.

J’avais repéré ce livre en faisant ma sélection des nouveautés audio de novembre. J’avais très envie d’une histoire d’aventure en mer et je n’ai pas été déçue. Toutefois, comme à mon habitude, j’avais juste survolé la quatrième et je n’avais pas réalisé qu’il s’agissait du récit d’un fait réel. Pour autant, cette lecture fût véritablement captivante, l’une de mes meilleures de l’année 2023 !

« En septembre 1740, au cours d’un conflit colonial qui opposait l’Angleterre à l’Espagne, le Wager avait quitté Portsmouth avec une escadre et quelque deux cent cinquante officiers et hommes d’équipage à son bord pour une expédition secrète. Son objectif ? La capture des trésors d’un galion espagnol qualifié de “plus riche prise de tous les océans”. Non loin du cap Horn, à la pointe de l’Amérique du Sud, la flotte fut balayée par un ouragan et le Wager avait sombré, croyait-on, corps et biens. Or, deux cent quatre-vingt-trois jours après que le navire avait été signalé pour la dernière fois, ces hommes ressurgissaient miraculeusement au Brésil. »

Dans ce récit en plusieurs parties, David Grann nous raconte l’épopée du Wager, un vaisseau britannique ayant fait naufrage en 1741, sur une « île désolée au large du littoral de Patagonie ». S’en suivra un chaos tout aussi tragique pour la poignée de survivants, et qui se terminera par un procès de grande envergure.

Dans un prologue passionnant, l’auteur recontextualise l’évènement. Nous sommes au XVIIIe siècle, en 1740, et les grands empires s’affrontent, notamment l’Angleterre et l’Espagne, pour coloniser des territoires. Dans cette optique, le commandant de la Royal Navy britannique George Anson est amené à diriger une escadre de plusieurs navires, destinée à attaquer les Espagnols. Le Wager, du nom du principal financier de cette expédition, en fait partie. Grâce à des témoignages, mémoires et autres récits de survivants, dont celui de l’enseigne John Byron, grand-père du célèbre poète, David Grann tente de reconstituer l’histoire du HMS Wager.

La première partie nous permet de découvrir les différents protagonistes de cette histoire, leur fonction sur le navire. C’est le cas du capitaine Cheap, de l’enseigne Byron, ou encore du canonnier Bulkeley. J’ai apprécié cette partie qui m’en a appris beaucoup sur les règles régissant ces navires, les différents corps de métier à bord et le vocabulaire usuel. J’ai été vraiment étonnée de découvrir les abominables méthodes pour recruter les marins, bien souvent contre leur gré. Ces derniers étaient même enlevés en pleine rue, sans aucun moyen de prévenir leur famille. Aussi, ces pauvres hères étaient prêts à tout pour échapper à ce « ramassage », notamment à se mutiler. Un empire colonial qui ne reculait devant rien pour assouvir sa soif de conquête et s’assurer la main d’œuvre nécessaire à ses ambitions !

« Ils souffraient de ce qu’un capitaine britannique avait nommé “la peste des mers” : le scorbut. Nul n’en connaissait la cause. Frappant un équipage après plus d’un mois de mer, c’était la grande énigme de l’ère de la marine à voile, qui tua plus de marins que tous les autres fléaux combinés, qu’il s’agisse des batailles au canon, des tempêtes, des naufrages et d’autres maladies. »

Une fois en mer, on entre dans le vif du sujet. On assiste aux conflits colonialistes qui se jouent dans les eaux, chaque partie usant de ruses et stratagèmes pour tromper l’adversaire. Mais rapidement, les conditions de vie à bord du Wager commencent à se détériorer. En effet, la maladie ne tarde pas à s’inviter au sein de l’équipage, provoquant une véritable « hémorragie » humaine qui semble n’épargner personne, peu importe l’âge ou la condition sociale. Typhus, scorbut, manque de nourriture, insalubrité, conditions d’hygiène déplorables, autant de fléaux qui s’abattent sur le bâtiment britannique, faisant dangereusement vaciller la flamme de l’espoir. Une partie qui ne nous épargne rien de l’horreur qu’ont vécue ces marins ! Aussi, quand les conditions climatiques dégénèrent, il n’y avait déjà plus grand monde pour maintenir le cap et empêcher le naufrage.

J’ai beaucoup apprécié la partie centrée sur les naufragés qui tentent de survivre sur l’île, en plein hiver patagonien. C’est à mon sens la plus intéressante, avec des passages d’une grande tension, qui n’ont rien à envier au genre du thriller. On assiste au délitement des comportements, aux discussions fiévreuses, au pire de la nature humaine, osons le dire. La mutinerie se profile et il faudra bien choisir son camp. Une partie absolument captivante !

« Tenaillés par la faim, transis de froid, ils avaient construit un avant-poste et tenté de recréer une forme d’organisation navale. Mais alors que leur situation se dégradait, les officiers et l’équipage du Wager, ceux-là mêmes qui étaient censés être des apôtres des Lumières, s’étaient laissé aller à un avilissement proprement hobbesien. Il y avait eu des affrontements entre factions et des maraudeurs, des abandons et des meurtres. Quelques hommes avaient même cédé au cannibalisme. »

Quant à la dernière ligne droite, elle retrace le procès intenté aux naufragés du Wager pour suspicion de crime, de cannibalisme, de mutinerie, etc. Seulement voilà, il y a autant de versions des faits que de survivants, chacun souhaitant servir ses propres intérêts. « Le procès, qui débuterait dans quelques semaines, devrait percer le brouillard de ces récits divers, les versions contradictoires, obscures, voire fictives, afin d’établir ce qui s’était réellement passé et, ainsi, de rendre la justice. » Cela étant, l‘Empire britannique n‘est pas prêt à perdre sa superbe en avouant au monde entier son incapacité à contenir une mutinerie au sein de son armée. Oui mais alors, la vérité dans tout ça ?

L’épilogue nous éclaire sur tout ce qu’on voulait savoir et il est essentiel pour conclure ce récit historique passionnant. Il interroge sur l’Histoire, sur la fiabilité des écrits sur lesquels on s’appuie pour la raconter. Ce n’est pas parce qu’un texte existe qu’il n’est pas mensonger ou même impartial. Et il est toujours délicat de connaître la vérité.

Tout au long de ce récit, l’auteur s’attache à nous raconter cette histoire uniquement d’après les faits qu’il a pu recouper grâce à un long travail de recherche. Si parfois j’aurais souhaité quelques dialogues pour rendre encore plus immersive cette lecture, je suis quand même admirative du talent de conteur de l’auteur ! Sa plume est si belle et agréable qu’elle apporte presque un souffle romanesque à cette histoire.

Vous l’aurez compris, j’ai passé un excellent, un fabuleux moment de lecture avec Les Naufragés du Wager ! C’est un récit passionnant et captivant, aussi je le conseille à tous les amateurs de récits historiques ou même de romans d’aventure.

Mon avis sur la version audio :

Dans la version audio Thélème, c’est Renaud Bertin qui prête sa voix pour nous raconter le récit du naufrage du Wager, et c’est un succès. J’ai adoré le timbre de voix de ce narrateur et son intonation, ce qui m’a permis de m’immerger pleinement dans cette écoute. Il a réussi à me captiver et à maintenir mon intérêt tout au long de cette histoire, un exercice loin d’être simple étant donné qu’il n’y a pas de dialogues. Un narrateur talentueux et une version audio qui rend admirablement hommage au travail de David Grann !

Et comme les mots peuvent sembler parfois bien fades, rien de mieux qu’écouter un extrait pour se faire un avis.

Extrait de Les Naufragés du Wager disponible sur audible.fr

Les naufragés du Wager de David Grann
Éditeur : Thélème – Parution : 02/11/2023 – Durée : 9h13min – ISBN/ASIN: B0CKXZ14WF – Lu par Renaud Bertin – Genre : Aventure, Historique.
Titre original : The Wager: A Tale of Shipwreck, Mutiny and Murder
📕En broché chez Sous-Sol, 2023

En 1740, le vaisseau de ligne de Sa Majesté le HMS Wager, deux cent cinquante officiers et hommes d’équipage à son bord, est envoyé au sein d’une escouade sous le commandement du commodore Anson en mission secrète pour piller les cargaisons d’un galion de l’Empire espagnol. Après avoir franchi le cap Horn, le Wager fait naufrage.

Une poignée de malheureux survit sur une île désolée au large de la Patagonie. Le chaos et les morts s’empilant, et face à la quasi-absence de ressources vitales, aux conditions hostiles, certains se résolvent au cannibalisme, des mutineries éclatent, le capitaine commet un meurtre devant témoins. Trois groupes s’affrontent quant à la stratégie à adopter pour s’en échapper. Alors que tout le monde croyait que l’intégralité de l’équipage du Wager avait disparu, un premier groupe de vingt-neuf survivants réapparaît au Brésil deux cent quatre-vingt-trois jours après la catastrophe maritime. Puis ce sont trois rescapés de plus qui atteignent le Brésil trois mois et demi plus tard. Mais une fois rentrés en terres anglicanes, commence alors une autre guerre, des récits cette fois, afin de sauver son honneur et sa vie face à l’Amirauté et au grand public.

Reconstitution captivante d’un monde disparu, Les Naufragés du Wager de David Grann est un formidable roman d’aventures et une réflexion saisissante sur le sens des récits. Un grand livre par l’un des maîtres de la littérature du réel.

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Cet article a 22 commentaires

  1. Je te rejoins totalement sur ce roman historique, qu’on peut qualifier « d’aventure » avec cette idée que l’histoire est réelle. J’ai adoré ! L’expérience d’une lecture audio pour une telle aventure doit être marquante. Merci pour ce joli retour !

    1. Caroline

      J’ai de plus en plus envie de découvrir des romans de ce genre, j’en suis très friande et c’est vrai que l’audio permet une complète immersion dans le récit.

  2. je lis je blogue

    Bonjour. J’ai beaucoup apprécié ce livre et le précédent de David Grann (La note américaine). L’auteur a fait des recherches minutieuses mais son essai est aussi captivant qu’un roman d’aventure.

    1. Caroline

      Je suis bien d’accord. Je ne connais pas du tout ses livres précédents, mais depuis cette lecture, j’ai très envie de les découvrir.

  3. Ludivine

    J’avais justement repéré ce titre dans sa version BD et sa version roman sur le blog de Frédéric (La culture dans tous ses états) et il était lui aussi conquis par ses découvertes. Ton avis s’y accorde bien Caroline ! 🙂 Je n’ai pas l’habitude de ce genre de récit alors je serais bien tentée par la version BD, mais j’imagine que la rencontre avec les personnages et leur vécu ne seront pas aussi détaillés et poignants que la version livre. Ou alors si il est dispo en bibliothèque, je pourrais peut-être essayer, car il a l’air très intéressant. Merci pour cette chronique enthousiaste 😉

    1. Caroline

      Oh, je ne savais pas qu’il existait une version BD. Il est vrai que la BD peut être sympa pour découvrir l’histoire, mais la plume de David Grann est exquise et c’est justement ça qui rythme le récit et le rend captivant.

      1. Ludivine

        Tu sais trouver les mots, tentatrice ! 😁 Je me laisserais embarquée si je le trouve en bibliothèque 🙂

    1. Caroline

      Franchement une excellente lecture Christine, et quand on aime l’histoire et les récits d’aventure c’est parfait !

  4. Effectivement j’aime beaucoup la voix ! Super de mettre un extrait.
    Le roman est tjs dans ma PAL…

    1. Caroline

      C’est aussi lui qui lit « La dernière allumette » de Marie Vareille, que j’ai beaucoup aimé soit dit en passant ! 😁. Après, comme je le disais à Audrey plus bas, la version papier contient des images, des cartes, des notes et une bibliographie.

    1. Caroline

      J’espère que tu auras l’occasion de le découvrir. C’est l’une de mes meilleurs lectures de 2023 !

  5. Il est dans ma wish list et ton avis donne encore plus envie de le lire. L’auteur a l’air d’avoir fait un véritable travail de recherche qu’il a su retranscrire en récit passionnant. Ton avis détaillé, riche et enthousiaste est un plaisir à lire et laisse entrevoir une lecture captivante.

    1. Caroline

      Franchement, j’ai adoré, il ne m’a manqué que quelques dialogues pour que ça soit un vrai coup de cœur. J’espère que tu auras l’occasion de le découvrir. La version papier comporte des images, et aussi des notes et une bibliographie très riche. C’est pourquoi, bien que je conseille la version audio pour sa qualité, je conçois que la version papier est idéale pour les adeptes de faits historiques. D’ailleurs, je vais m’acheter le livre papier.

      1. Dans ce cas là, j’essaierai d’emprunter la version papier quand j’écouterai la version audio 🙂

    1. Caroline

      Merci Nath ! Oui, je comprends qu’il faut déjà apprécier les récits, et historiques en plus. 😊

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