Chronique - Le parfum des cendres de Marie Mangez

Chronique – Le parfum des cendres de Marie Mangez

Le parfum des cendres de Marie Mangez

Contemporain

Sélection Prix Audiolib 2022 – Roman lu par Sophie Frison.

«— […] Et vous, Sylvain, qu’est-ce qui vous intéresse dans la mort ? »
Silence profond. Il semblait sincèrement réfléchir à la question.
« La vie.
— La vie ?… »

Comme vous le savez peut-être si vous me suivez sur Instagram, j’ai l’honneur de faire partie du jury pour le Prix Audiolib 2022. Dix titres ont été sélectionnés pour ce prix, dont parmi eux, Le parfum des cendres, lu par Sophie Frison. Avec ce roman j’ignorais totalement à quoi m’attendre, et j’ai été assez surprise par le thème de la thanatopraxie. Un sujet peu traité en littérature, qui relève ici d’une certaine poésie. Contrairement aux apparences, il émane de cette histoire une forme de légèreté agréable.

« Sylvain ne s’entendait pas avec les vivants. Il ne pouvait établir avec eux la même complicité, ressentir à leur égard la même affection qu’envers ces dépouilles vaguement nauséabondes étalées sur la table de préparation. Un fossé le séparait d’eux : le fossé entre la mort et la vie. Ce que ressentaient les macchabées, il le comprenait, et eux semblaient le comprendre aussi, bien mieux qu’aucun vivant. Leur monde à eux, le monde des vivants, Sylvain Bragonard l’avait quitté, sur la route de Grasse, le 21 juillet il y a quinze ans. »

Alice prépare une thèse sur les thanatopracteurs, et à cette occasion est amenée à observer quelques temps différents professionnels. Le dernier en date, Sylvain Bragonard, est un homme aux méthodes de travail peu communes mais fascinantes. Si Alice est une personne gaie et particulièrement loquace, Sylvain quant à lui, est son exact opposé. Du moins avec les vivants. Car en compagnie des morts, cet homme d’ordinaire si taciturne semble reprendre vie. Ce comportement intrigue la jeune femme, qui se met alors en tête d’en apprendre davantage sur son histoire personnelle. Mais Sylvain est un véritable coffre-fort, et n’a aucune envie de livrer à d’autres, et à Alice en particulier, les secrets qui le hantent.

« Qu’est-ce que ça cachait, cette gaieté permanente, il se le demandait, une fille comme ça, on aurait dit qu’elle surajoutait de la vie partout comme on noie sous le sel et les épices un plat trop fade, Ju’ c’était pareil, un concentré de vie en pastilles. »

Je suis entrée dans ce roman avec une grande facilité, emportée par le ton et l’humour adoptés. Au fil des pages, l’intrigue autour du passé de l’embaumeur prend forme. Les souvenirs de Sylvain se dévoilent délicatement, rappelés à sa mémoire par une odeur ou une mélodie, encouragés par la fraîcheur d’Alice. Cet homme au nez si fin, est capable de reconstituer les notes subtiles d’un parfum et d’en habiller les morts, avec beaucoup de sensibilité. Cependant, il devient tragiquement anosmique dès lors qu’il revient parmi les vivants. J’ai été touchée par ce personnage, dont le passé est d’une emprise telle, qu’il l’empêche de vivre. On ressent chez lui une culpabilité profonde, dévastatrice. Au contraire, le personnage de Ju, sans cesse sur ses épaules comme un bon petit diable, m’a souvent exaspérée. Rien chez elle, de sa personnalité à son attitude, n’a éveillé la moindre empathie en moi. Heureusement, la spontanéité d’Alice agit comme une bouffée d’oxygène. Sa curiosité vis-à-vis de Sylvain pourrait paraître déplacée, si sa bienveillance et sa générosité n’étaient pas si évidentes. Elle est de ces personnes qui voient les bons côtés. De ces personnes qui sourient à la vie. De ces personnes qui peuvent guérir bien des blessures.

Si mon intérêt pour ce roman a été assez inégal, avec une impression de longueur parfois, j’ai néanmoins beaucoup apprécié l’écriture de Marie Mangez. Tantôt âpre ou poétique, elle devient subtilement différente selon les personnages et les situations.

Le parfum des cendres met en lumière un duo aussi surprenant qu’émouvant. Alice/Sylvain. Elle la vie, lui la mort. Elle les sons, lui les odeurs. Une belle ode aux sens et à la vie.

Mon avis sur la version audio :

Dans son interprétation, Sophie Frison a parfaitement saisi les nuances des personnages, et exprimé avec naturel toute la poésie du texte. De sa voix claire et enthousiaste, elle a su apporter une saveur toute personnelle à cet univers de senteurs. Une excellente performance.

Date de lecture : 12 fév. 2021


L’avis de mes collègues jurées

Parce que nous n’avons pas toujours les mêmes ressentis ou la même façon de parler d’un livre, voici quelques avis de mes collègues de jury.

Mademoiselle Maeve a aimé cette histoire, et elle en parle dans sa chronique.


Infos et Quatrième de couverture

Le parfum des cendres de Marie Mangez
Edition papier : Finitude – Parution : 19/08/2021 – 236 pages – ISBN : 9782363391506
Edition audio : Audiolib – Parution : 15/12/2021 – Durée : 5h7min – ISBN : 9791035407582 – Lu par Sophie Frison

« Les parfums sont toute la vie de Sylvain Bragonard. Il a le don de cerner n’importe quelle personnalité grâce à de simples senteurs, qu’elles soient vives ou délicates, subtiles ou entêtantes. Tout le monde y passe, même les morts dont il s’occupe tous les jours dans son métier d’embaumeur.
Cette manière insolite de dresser des portraits stupéfie Alice, une jeune thésarde qui s’intéresse à son étrange profession. Pour elle, Sylvain lui-même est une véritable énigme : bourru, taiseux, il semble plus à l’aise avec les morts qu’avec les vivants. Elle sent qu’il cache quelque chose et cette curieuse impénitente veut percer le mystère.
Doucement, elle va l’apprivoiser, partager avec lui sa passion pour la musique, et comprendre ce qu’il cache depuis quinze ans.
Dans ce premier roman plein de malice, Marie Mangez déploie une écriture vive et sensible qui déjoue les codes de la rencontre amoureuse. »

  J'ai lu/aimé cet article

Cet article a 2 commentaires

  1. Caroline

    J’espère qu’il te plaira ! Personnellement, j’ai hâte de découvrir Les gardiens du phare d’Emma Stonex.

  2. C’était l’un des romans de la sélection qui me tentait le plus et ton avis me conforte dans l’idée que je vais apprécier ce roman. Si Alice a l’air d’une petite bouffée de vie, Sylvain est le genre de personnages pour lequel je développe de l’attachement. Ton avis m’a en tout cas donné envie de découvrir cet homme et son passé.

Répondre à CarolineAnnuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.