La mère de Simon d'Aurore Bègue

Chronique – La mère de Simon d’Aurore Bègue

La mère de Simon d’Aurore Bègue

Contemporain, Drame

J’ai découvert Aurore Bègue avec son premier roman, Treize, que j’avais vraiment beaucoup aimé. Il y a un peu plus d’un an, quand j’ai vu qu’elle avait écrit un second livre, je n’ai pas hésité. Avec La mère de Simon, j’ai apprécié retrouver l’écriture de l’autrice, et j’ai à nouveau été captivée par l’intensité dramatique de l’histoire.

« Du plus loin que je m’en souvienne, nous avons toujours vécu dans cette maison et aucun père n’a jamais été là. »

Suzanne est une enfant qui grandit sans père, tandis que sa mère ne lui manifeste aucune marque d’affection, ni même d’intérêt. « J’m’en fous de toi » sont des mots crève-coeur que la petite entend régulièrement. Alors l’enfant tente de se construire par elle-même, et apprend très tôt à lire et à compter. Deux aptitudes qu’elle va mettre à profit pour tenir un journal. La lecture est sa seule échappatoire à un quotidien morose, jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle famille, dans la maison voisine.

Construit sur deux parties, le roman nous livre un fragment de la vie de Suzanne, la narratrice, de son enfance à la fin de son adolescence. Le contexte dysfonctionnel dans lequel elle évolue est consternant. Une mère qui cumule les relations éphémères. Une maison mal tenue et un frigo trop souvent vide. Pour autant, le seul manque dont elle semble souffrir, c’est d’amour. L’enfant aux cheveux roux, si jeune et pourtant déjà si lucide, m’a bouleversée. Elle parle peu – avec qui de toute façon – mais semble douée d’une réelle force de caractère. Si à l’école elle est une élève brillante, nouer des relations avec ses camarades s’avère compliqué. L’arrivée de Simon, son nouveau voisin du même âge, va bouleverser sa vie.

« Mais Simon n’était pas comme les autres. Il était sûr de lui, sûr de ce qu’il était, mais pourtant sans suffisance aucune, il avait une présence presque solaire et se révélait d’une politesse incroyable, surtout avec les adultes. Il se souciait des autres sans pour autant s’inquiéter de leurs regards et même s’il souriait beaucoup, quelque chose semblait le rendre un peu détaché de tout : cet ensemble qui le définissait avait quelque chose de fascinant. »

Sa famille apparaît comme l’antithèse même de celle de Suzanne. Le jeune garçon blond comme les blés, au sourire ravageur, est aussi gentil et cool que Suzanne est introvertie et impopulaire. Il possède l’assurance de ces enfants aimés et choyés. Sa mère est de celles qui vous font des cookies à votre retour de l’école, de celles qui vous couvrent de baisers et s’assurent que vous ne manquez de rien. Claire est la mère que Suzanne a toujours rêvé d’avoir. Une mère qui n’est pas la sienne, mais qui va rapidement la prendre sous son aile, consciente de la souffrance ancrée chez la jeune fille.

« Chaque retour chez moi était un arrachement intérieur, et je supportais de moins en moins ma mère, dont les défauts et les mauvaises habitudes me sautaient encore plus aux yeux à présent que j’en avais la comparaison dans cette famille à l’opposé de ce que nous formions maladroitement et sans amour, elle et moi. »

L’empathie que suscite la jeune adolescente chez ses nouveaux voisins fait écho à celle du lecteur. Mais plus le récit avance, plus l’écart manifeste entre les deux familles devient oppressant. Tout ce que nous observons, tout ce que nous apprenons, se fait au travers du prisme de Suzanne. Le drame annoncé en début de prologue se rappelle alors à la mémoire, comme une tache indélébile. Une nouvelle équation, qui engendre un certain malaise vis-à-vis de la narratrice. La profondeur psychologique de ce personnage est très intense, et ses émotions sont aussi fortes qu’instables. Ce déséquilibre émotionnel a éveillé chez moi un sentiment d’angoisse.

A la manière d’un roman noir, l’atmosphère est chargée d’une tension omniprésente, contenue par l’écriture admirable d’Aurore Bègue. Celle-ci décrit avec habileté les fondements d’une vie, démontrant toute l’importance que l’environnement social et familial peut avoir sur son avenir. La mère de Simon est une lecture qui bouleverse et attriste. Je vous encourage vivement à découvrir le talent de l’autrice.

Lire mon avis sur Treize, publié en 2016 chez Rue Fromentin.

Date de lecture : 19-21 janv. 2022


Infos et Quatrième de couverture

La mère de Simon d’Aurore Bègue
Autoédition, 2019

« Suzanne, onze ans, a deux principales occupations : lire, et tenir la longue liste des amants de sa mère. Lorsqu’un jour d’hiver, de nouveaux voisins emménagent dans la maison d’à côté, Suzanne se sent immédiatement attirée par Simon, garçon blond et sage de son âge, et plus encore par Claire, qui incarne l’idéal maternel dont elle est privée. Mais l’envie est un sentiment destructeur, et voler, même des miettes d’amour, ne peut que mal se terminer. Quel avenir attend Suzanne ? Malgré son intelligence, est-elle condamnée à faire les mauvais choix ? Ce roman sombre et sensible aborde la relation mère-fille, la jalousie, et les conséquences du manque d’amour, avec en filigrane cette question : Peut-on s’extraire de son milieu social ? « Par dessus tout j’étais fascinée qu’il soit le fils de sa mère, et la lui enviais tant que j’avais fini par lui en vouloir, comme s’il y était pour quelque chose, comme si tout avait été planifié pour qu’il soit l’enfant de ma mère et moi celui de la sienne, mais que par sa faute, tout avait été bouleversé. » Ce roman a reçu le soutien du CNL »

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Cet article a 6 commentaires

  1. Ce livre a l’air tellement fort, tellement douloureux aussi. Je passes mon tour même si je ne doute pas qu’il soient intense et prenant. Tu nous offres une très belle chronique à son sujet en tout cas. 🙂

    1. Caroline

      Il n’est pas vraiment douloureux, mais c’est vrai qu’il est intense. Ce que j’apprécie particulièrement, c’est la tension qui s’installe petit-à-petit. C’est aussi ce que j’avais adoré dans son premier roman.

      1. Je me suis peut être mal exprimée pardon . Par douloureux, je pensais en particulier à la relation de Suzanne et de sa mère, ce manque cruel d’affection, ça me sert le coeur rien que d’y penser en faite. 😇

  2. Sans ton avis, je ne me serais pas intéressée à ce roman dont la couverture ne m’interpellant pas outre mesure, mais le personnage de Suzanne a l’air tellement touchant. Des débuts de vie aussi difficile ne peuvent que susciter de l’empathie. Quant au drame qui se joue par la suite, ça m’intrigue…

    1. Caroline

      Une histoire forte, et une belle écriture. Son premier roman, Treize, est très bon aussi. Il m’a marquée.

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