Chronique – Vous parler de mon fils de Philippe Besson

Vous parler de mon fils de Philippe Besson

Contemporain

Date de lecture : 30 déc. 2024

Aujourd’hui est une « journée particulière », celle de la « marche blanche » en l’honneur d’Hugo, jeune adolescent de 14 ans disparu trop tôt. Ses harceleurs ont eu raison de lui. Un pas après l’autre, le père avance en tête de cortège, alors que les souvenirs le submergent.

Nous découvrons l’histoire d’Hugo, harcelé par des camarades de classe, et le combat de ses parents, Vincent et Juliette, pour tenter de mettre un terme à la situation. Cette marche funèbre réveille une culpabilité dévorante, celle de n’avoir pas su, pas pu protéger son enfant. 

Philippe Besson décrit parfaitement l’engrenage du harcèlement. L’adolescent, au départ taiseux, dissimule ce qu’il subit pour ne pas inquiéter ses parents, si bien que le père ne prend pas vraiment la mesure du problème. Mais c’est tellement difficile de savoir à quel moment intervenir. À l’instar d’Hugo, j’ai eu l’impression d’être prise dans un étau, sans aucune issue de secours. Il ne veut pas être considéré comme une victime, car il a conscience que tout va se retourner inévitablement contre lui, quoi qu’il fasse, quelle que soit la posture qu’il adoptera. Et ça fait mal de se rendre compte de cette souffrance incommensurable, de ce désespoir. Je me mets à la place de ces parents que personne ou presque n’a voulu entendre, et je trouve ça terrible. 

J’ai pensé aux parents d’un des harceleurs, convaincus que leur fils ne pourrait pas faire une chose pareille. Comment réagirais-je si on me disait que ma fille s’adonnait à ce genre de persécutions. Pourrais-je y croire ? Ce qui est plus terrible encore, c’est que ces jeunes harceleurs ne voient pas du tout le lien de cause à effet entre leur comportement et la mort de leur camarade. Comme si la vie ne comptait pas, comme s’ils ne pouvaient pas ressentir la souffrance de l’autre. Il y a un sentiment d’impunité, qui fait d’eux les rois du monde. « Quatre misérables heures de colle », voilà la sanction retenue par l’établissement.

Cela me fait d’ailleurs penser à un passage du livre où Hugo ne comprend pas qu’on l’emmène consulter un psychologue, alors que de toute évidence, ce sont ses harceleurs qui ont un problème. Et c’est tellement vrai !

L’auteur prend aux tripes, sans pour autant sombrer dans le larmoyant. Avec pudeur et sensibilité, il nous imprègne des émotions des protagonistes, et tout sonne tellement vrai qu’on a la sensation de faire partie intégrante de l’histoire. Je me suis identifiée à ces parents, d’autant plus que j’ai une fille du même âge que l’adolescent de cette histoire, qui a elle aussi vécu une situation de harcèlement l’an dernier. Heureusement, dans l’établissement de mon enfant, ces situations sont prises très au sérieux et l’équipe encadrante est géniale.

Avec Vous parler de mon fils, Philippe Besson s’empare une nouvelle fois d’un sujet difficile, le harcèlement, avec une délicatesse qui force l’admiration. Comme toujours, je suis subjuguée par son style, la simplicité touchante avec laquelle il évoque les faits, nous immisce dans les pensées des personnages. Son langage est universel. Une lecture essentielle, profondément bouleversante, qui nous incite à ne jamais oublier l’inacceptable.

Je remercie NetGalley et la maison d’édition pour l’envoi de ce roman.

Extrait

« En dépit de tous les signaux d’alerte, nous n’avions pas envisagé qu’il puisse mourir. Je sais que cela a surpris, compte tenu de la situation et de sa dégradation, c’est pourtant l’exacte vérité.
En réalité, l’explication est très simple : lorsqu’on est parent, on ne peut pas envisager une hypothèse comme celle‑ci, on ne peut pas la concevoir, c’est au‑delà de nos facultés, ça dépasse notre entendement, ça se situe à un endroit où nous n’allons pas, voilà. Il s’agit d’une conjecture trop épouvantable, trop insoutenable, point. Et si, malgré tout, elle nous effleure, si elle se forme une fraction de seconde dans notre esprit, on la chasse aussitôt, par superstition sans doute, et parce que, si on n’y pense pas, alors ça n’existe pas. Certains diront qu’il s’agit d’aveuglement, d’autres de déni. Ils auront raison. Mais ça ne change rien. »

Découvrez d’autres avis sur ce livre : Lison, Aude.

Infos & Quatrième de couverture

Vous parler de mon fils de Philippe Besson
Éditeur : Julliard – Parution : 02/01/2024 – 208 pages – ISBN: 9782749172552.

En cette « journée particulière », Vincent et sa femme, Juliette, doivent surmonter leur douleur pour rejoindre des centaines d’inconnus venus honorer la mémoire d’Hugo, leur fils de quatorze ans. Tandis que le cortège endeuillé progresse silencieusement à travers les rues de Saint-Nazaire, Vincent dialogue avec lui-même, remonte le cours du temps. Pourquoi Hugo a-t-il perdu pied face aux persécutions de deux gamins stupides et cruels ? En quoi ont-ils failli, lui et Juliette ? Comment pardonner à ceux qui ont pris leur fils pour cible et déchaîné sur lui leur haine gratuite et à tous les autres, lâches ou complices, qui ont laissé faire ? Suivant un implacable mouvement de balancier, les souvenirs, des plus joyeux aux plus éprouvants, alternent avec le présent de cette « marche blanche » où chacun tente, comme il peut, de tenir debout. Surtout pour Enzo, le fils cadet.

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Cet article a 20 commentaires

  1. loeilnoir

    Merci pour le partage Caroline et le retour que tu fais de ce roman sensible et touchant! L’auteur soulève de façon exhaustive les questions qui tournent autour du sujet du harcélement et montre à quel point il peut être difficile de le traiter. Ecrire sur cette thématique porte l’espoir de faire avancer les choses!!

  2. J’aime beaucoup les romans de Philippe Besson. Ce nouveau livre est au sommet de ma PAL. Il aborde toujours avec finesse des sujets d’actualité loin d’être évident. Ici c’est le harcèlement scolaire. J’ai hâte de le découvrir. J’en profite pour te souhaiter mes meilleurs vœux pour cette année Caroline. 🙂🙏

  3. Pat0212

    Merci pour cette magnifique chronique. Je vois souvent e livre passer en ce moment. J’apprécie cet auteur, je vais le lire aussi. Je ne suis pas étonnée de ces pratiques cruelles. On voit tellement dans l’actualité le règne du plus fort, du plus violent qu’il ne faut pas s’étonner des dérives de nos sociétés. Bon week end

  4. C’est un thème toujours difficile, mais j’aime lire de telles histoires, car ça permet, en tant que parents, de rester attentif… j’ai toujours eu peur du harcèlement pour mes enfants, mais autant qu’ils soient victimes que harceleurs ! Ils ne se rendent pas toujours compte que l’effet d’une remarque balancée en classe et qui fait rire la galerie et est oubliée l’instant suivant puisse marquer au fer rouge l’enfant qui la reçoit… mais dans tous les cas, je pense qu’un travail de fond dans les écoles est nécessaire, car (pour l’avoir vécu avec mon fils) certaines écoles préfèrent de loin planquer la poussière sous le tapis 😒.

    1. Caroline

      Je suis bien d’accord avec toi sur tout ce que tu dis dans ton commentaire. Si j’apprenais que ma fille harcèle d’autres gamins, je le vivrais très mal aussi. Mais bon, dans l’établissement de ma fille, il parle beaucoup du harcèlement, mais j’ai l’impression que ça rentre par une oreille et ça sort par une autre. C’est très délicat en tant que parent, de savoir à quel moment tu dois intervenir, ou si tu dois laisser ton enfant se débrouiller seul. Mais bon, j’ai aussi connu des adultes qui se faisaient harceler dans leur milieu pro. C’est pour ça qu’on a tout fait pour que notre fille puisse réagir si ça lui arrive, car malheureusement, il n’y a pas d’âge pour être con et emmerder les autres.

  5. Ludivine

    Quatre misérables heures de colle, ca fait froid dans le dos quand on sait que leurs actes ont menés à l’irréparable… Cette lecture doit donner la rage et la peur au ventre, tu en parles avec beaucoup de sensibilité. J’espère que ta fille est tranquille désormais et qu’elle peut s’épanouir pleinement dans son établissement scolaire. Merci pour cette chronique Caroline. 🙂

    1. Caroline

      Pour ma fille, ça s’est arrangé assez vite, heureusement. Mais je pense à tous ces enfants qui n’osent rien dire, souvent pour ne pas faire de peine à leurs parents et je trouve ça triste. En tout cas, c’est une lecture essentielle. Encore une fois, l’auteur ne me déçoit pas dans sa façon de traiter le sujet.

      1. Ludivine

        C’est une bonne chose que son établissement réagisse en conséquences et tant mieux si ça s’est vite arrangé pour elle !

  6. Hedwige

    Merci pour cette chronique sensible et émue, Caroline. Je ne comprends pas la cruauté ni l’insensibilité de ces persécuteurs, c’est tellement désespérant de voir tant de violence et tant de lâcheté parmi la jeunesse.
    Je n’ai pas encore lu ce roman mais je suis déjà toute retournée par tes mots.

    1. Caroline

      Merci beaucoup Hedwige ! C’est un roman fort, mais pas insurmontable à lire, j’entends par là qu’il n’a pas pour but de tirer des larmes. Non, il est plus subtil, simplement juste et vrai. Et ce qui est terrible, c’est que ça ne s’arrange pas avec l’âge. Le harcèlement est très présent, quel que soit l’âge, le sexe, le milieu professionnel…

    1. Caroline

      Merci beaucoup Ge ! C’est un sujet tellement important ! Mais pourquoi vous persistez tous à l’appeler Aude ce matin ? 😂 C’est sûrement car on a toutes les deux publié nos chroniques ce matin.

  7. Yvan

    Une chronique très touchante pour démarrer l’année, merci Aude

    1. Caroline

      Merci Yvan ! C’est un sujet qui touche inévitablement, mais j’apprécie que l’auteur le traite avec une telle subtilité.

    1. Caroline

      Il prend aux tripes, c’est vrai, mais en même temps, surtout que l’auteur a le don de parler à tout le monde, parent, pas parent, jeune, vieux… C’est ça qui est magique avec lui.

  8. Je suis bien d’accord : très belle finesse d’analyse sur les mécanismes du harcèlement

    1. Caroline

      Merci Aude, j’ai vu sur Babelio ce matin que tu as posté la tienne. Je n’ai pas encore eu le temps de lire mes flux rss, mais bien sûr, je vais aller la lire ! Je suis sûre que nos avis doivent converger !😘

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