Sa préférée de Sarah Jollien-Fardel
Contemporain
LECTURE AUDIO – Roman lu par Lola Naymark
Roman lu dans le cadre de ma participation au Prix Audiolib 2023.
Date de lecture : 21 avril 2023 | Date de relecture : 10 juin 2023
Sa préférée, c’est le genre de roman vers lequel je ne me serais probablement jamais penchée, s’il n’avait pas fait partie des titres en lice pour le Prix Audiolib 2023. Non pas qu’il ne m’intéressait pas, seulement, j’avais dans l’idée qu’il serait bien trop éprouvant à lire et je n’avais pas vraiment envie d’une telle lecture. Finalement, je l’ai écouté deux fois et je l’ai aimé, surtout la seconde fois. J’ai adoré la narratrice, Lola Naymark, que je trouve absolument fantastique. Et pour l’avoir entendue en vrai lire un extrait de ce roman, lors de la rencontre Audiolib à Paris, je peux vous dire qu’elle est vraiment géniale !
Dans ce roman, Jeanne, la narratrice, nous raconte son enfance marquée par la violence paternelle, puis sa construction en tant qu’adulte, avec ce lourd bagage dans son sillage. Dès la première phrase, l’autrice donne le ton et ne laisse aucune place au doute quant à ce qu’elle s’apprête à nous raconter. Autant vous dire que si vous pensez pouvoir lire ce roman sans vous investir émotionnellement, cela risque d’être compliqué. Ces premiers mots sont restés gravés dans mon esprit, et j’aimerais que vous puissiez entendre, au moment où vous lisez ces lignes, la façon dont Lola Naymark les énonce, avec une justesse bouleversante : « TOUT À COUP, il a un fusil dans les mains. La minute d’avant, je le jure, on mangeait des pommes de terre. Presque en silence. Ma sœur jacassait. Comme souvent. Mon père disait « Elle peut pas la boucler, cette gamine ». Mais elle continuait ses babillages. » Alors dès le départ, vous sentez monter l’angoisse et vous priez silencieusement pour que “cette gamine” se taise, parce que vous n’avez pas envie que la situation dégénère.
Jeanne savait reconnaître les signes. C’est qu’elle apprend vite Jeanne. Contrairement à Emma, sa soeur aînée, plus naïve et spontanée. Intelligente, elle a su très tôt repérer les changements dans l’air, l’atmosphère qui se fait plus lourde, l’odeur de l’alcool qui imbibe le père. Très tôt, elle a su qu’il valait mieux se trouver sous le radar paternel, ne pas faire de mouvement brusque, ne pas attirer l’attention. Jusqu’au jour où, avec l’assurance de ses huit ans et probablement aussi de sa joie du moment, la pauvre enfant a lâché un “cher ami” prononcé un peu trop “crânement”, ce qui a fortement déplu au père.
“Ce « cher ami » me valait une dérouillée monumentale, une épaule démise, des bleus, des courbatures. Ce « cher ami » usurpé démontrait bien que chacun restait dans son rang, les simples d’un côté, les bourgeois de l’autre. Avec nos vies minuscules, nous n’étions pas autorisés à utiliser ce langage.”
Dans ce petit village, au coeur des montagnes valaisannes suisses, tout le monde se connaît, tout le monde sait, et tout le monde se tait. Jusqu’au gentil et respectable médecin, qui, envoyé à son chevet ce fameux jour, n’a pas voulu entendre son appel à l’aide, laissant choir, par sa lâcheté, ses espoirs et ses illusions d’enfant. Un petit village qui pourrait être n’importe quel autre.
Dès que possible, Jeanne part faire ses études loin de cet enfer, avec la culpabilité de celle qui laisse soeur et mère derrière elle. Tant bien que mal, elle tente d’apaiser sa colère en nageant dans le lac Léman, mais la réalité se rappelle souvent à elle. Car, même loin de “lui”, la peur reste présente, profondément ancrée. Une « terreur increvable » qui s’insinue dans tout son être comme un poison dans les veines. Et elle n’était pas sa préférée…
“Je sais que rien ne m’émeut jusqu’au bouleversement, jusqu’à déliter ma colère. Que les fondations de mon enfance ne sont pas assez solides pour que je tienne debout.”
Comment trouver la sérénité quand on a grandi la peur au ventre ? Comment trouver l’équilibre qui nous a fait défaut pendant tant d’années ? Comment se construire une identité et devenir une adulte épanouie ? Est-il possible de pardonner, de surmonter la rancoeur ?
Sa préférée est un roman particulièrement éprouvant à lire. Il a ces mots forts et cette plume acérée, cette violence et cette haine qui transparaissent à chaque page. Des sentiments décuplés dans la version audio, où Lola Naymark laisse libre cours à son interprétation, avec une acuité saisissante. Mais ce qui m’a attristée, ce n’est pas seulement cette enfance faite de violence, mais aussi cet implacable désespoir. Cette sensation que la vie tente de se frayer un chemin, avec tout l’amour et la beauté qu’elle aurait à offrir, mais que la noirceur a tout envahi, empêchant toute forme de renaissance. C’est triste, c’est dur, c’est terriblement tragique.
Dans la version audio, Lola Naymark, la narratrice, m’a subjuguée. Chaque mot qu’elle prononce, chaque scène qu’elle raconte nous percute de plein fouet, jusqu’à nous meurtrir. Une lecture audio comme une seconde peau, pour un roman âpre et poignant qui m’a bouleversée. Si vous souhaitez découvrir ce livre, je vous invite à écouter la version audio, qui selon moi, rend magnifiquement hommage à ce texte.
Et comme les mots peuvent sembler parfois bien fades, rien de mieux qu’écouter un extrait pour se faire un avis.
Infos et Quatrième de couverture
Sa préférée de Sarah Jollien-Fardel
Édition audio : Audiolib – Parution : 18/01/2023 – Durée : 4h37min – ISBN/ASIN: 9791035412623 – Lu par : Lola Naymark – Genre : Contemporain.
Dans ce village haut perché des montagnes valaisannes, tout se sait, et personne ne dit rien. Jeanne, la narratrice, apprend tôt à esquiver la brutalité perverse de son père. Un jour, pour une réponse péremptoire prononcée avec l’assurance de ses huit ans, il la tabasse. Convaincue que le médecin du village, appelé à son chevet, va mettre fin au cauchemar, elle est sidérée par son silence.
Dès lors, la haine de son père et le dégoût face à tant de lâcheté vont servir de viatique à Jeanne. À l’École normale d’instituteurs de Sion, puis à Lausanne, la jeune femme, que le moindre bruit fait toujours sursauter, trouve enfin une forme d’apaisement. Le plaisir de nager dans le lac Léman est le seul qu’elle s’accorde.
Habitée par sa rage d’oublier et de vivre, elle se laisse pourtant approcher par un cercle d’êtres bienveillants que sa sauvagerie n’effraie pas, s’essayant même à une vie amoureuse.
Dans une langue âpre, syncopée, Sarah Jollien-Fardel dit avec force le prix à payer pour cette émancipation à marche forcée. Car le passé inlassablement s’invite.
L’avis des autres membres du Jury Audiolib
Parce que nous n’avons pas toujours les mêmes ressentis ou la même façon de parler d’un livre, voici quelques avis de mes collègues jurées. Sa préférée fait partie des cinq derniers titres en lice pour le Prix Audiolib 2023.
- Je vous invite à lire la magnifique chronique d’Aude, aussi belle et puissante que le roman.
- Pour Estelle, « ce récit traumatique est bien écrit, le texte est soigné mais [elle est] malheureusement restée trop loin de ces personnages. »
- Anne a « aimé ce roman très intime et [elle a] trouvé intéressant cette incursion dans le traumatisme d’une enfance. »
- Pour Mathilde, c’est un coup de coeur : « L’intensité de ce roman est folle car dès la première phrase, on rentre dans la souffrance de notre personnage et on se demande si on en sortira… »
- Pour Azilis, c’est un « roman vibrant, glaçant, déchirant. »
- Julie a été « aspirée par le récit et eu l’impression que l’actrice et la narratrice ne faisaient plus qu’une. »
- Pour Claudia, c’est « un premier roman incroyablement abouti et d’une intensité qu’il ne faut pas manquer. »
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oh comme j’ai aimé la poesie de ce premier roman !
Une si belle chronique pour un livre qui semble tellement dur. Je ne sais pas si j’aurai l’occasion de le lire ou de l’écouter, mais merci de me l’avoir fait découvrir.
Avec plaisir ! C’est vrai qu’il est éprouvant à lire, mais je suis heureuse de l’avoir découvert.😊
Merci Caroline pour ce partage 🙂 je pense que nous avons été unanimes à l’égard de ce livre!
Oui, c’est un récit qui a fait forte impression ! 😊
Quelle magnifique article, Caroline !!! Je crois que je préfère lire ce que tu en dis que de lire le livre lui-même.
Mais peut-être me laisserai-je tenter par son écoute ?
Merci pour ce partage lumineux !
Merci beaucoup Hedwige, c’est gentil ! 😊 En tout cas, si tu l’écoutes, je serais ravie de connaître ton point de vue sur ce texte et sur la prestation de Lola Naymark.
Très jolie chronique,. Que j’ai aimé ce livre pour tout ce que tu en dis. Un roman noir sans espoir magnifiquement écrit et surtout magnifiquement conté par Lola Naymark, que je ne connaissais pas qui donne une dimension aux sentiments décuplé. Triste et beau à la fois tellement éprouvant tellement émouvant
Merci ! 😊 En commençant ce roman, je savais qu’il allait être dur, mais j’ignore pourquoi, je ne m’attendais pas à tant de noirceur. Et c’est vrai que Lolo Naymark est incroyable. Quand je lis des extraits du livre, j’ai sa voix dans la tête, désormais indissociable de Jeanne.
C’est ce que j’ai aimé dans ma participation l’année dernière au prix, lire des histoires qui ne m’auraient pas spontanément attirée. Ce roman a l’air dur à écouter mais pas plus que les coups et la violence subis alors que tout le monde savait… Si je tente, ce sera clairement avec la version audio.
Tu ne seras pas déçue par la version audio, je pense. 😊Mais effectivement, le roman est dur et pourtant, contrairement à ce que je pensais, j’ai pu le lire jusqu’au bout.
J’ai remarqué qu’avec ce format, j’arrive plus facilement à découvrir des histoires difficiles…
Pareil, je ne crois pas que je me serais immergée aussi facilement dans le texte.