Chronique - Le roi-nu-pieds de François d’Epenoux

Chronique – Le roi-nu-pieds de François d’Epenoux

Le roi-nu-pieds de François d’Epenoux

Contemporain

Date de lecture : 29-31 janv. 2023

“Ici, on portait polos chics et shorts framboise, chaussures bateau ou espadrilles de bon aloi, pulls en cachemire noués sur les épaules, mais sans ostentation, juste avec l’aisance de ceux qui ont les codes depuis la naissance. Et toi, Tania à tes côtés, tu es arrivé là-dedans comme un chien dans un jeu de quilles, loqueteux, avec tes pieds nus, ton pantalon de treillis, ton T-shirt de rasta, tes bracelets en jonc, tes cheveux en salade renversée. Un chien des rues, plein de puces, au beau milieu de quilles bien formatées, poncées de près, en bois poli.”

Niels, le fils d’Éric, est parti vivre dans une ZAD (Zone à défendre), à Notre-Dame-des-Landes. Là-bas, il a rencontré des personnes qui ont la même vision de la vie que lui, la même envie de revenir à l’essentiel, et de s’éloigner de cette société de consommation.

Pour Éric, tout ceci n’est sûrement qu’un passage, une façon de se rebeller contre la société, parce qu’il faut bien le dire, c’est un peu à la mode. Des hippies du 21ème siècle, on en voit de plus en plus. Ils sont là, ils protestent, ils vivent en marge de la société. En tout cas, il espère que tout ça va se tasser, rentrer dans l’ordre. Car depuis que Niels les a rejoints pour les vacances, Éric a pris la mesure du changement. Son fils est « un roi aux pieds nus » qui ne sent pas toujours la rose. Et puis, ça rime à quoi de marcher sans chaussures, de porter des vêtements usés, à la propreté douteuse ? De quoi a-t-il l’air dans la rue ! Il peut lui en offrir, lui, des vêtements neufs. Et cette nonchalance ! C’est ce qu’il y a de plus agaçant la nonchalance. Il ne voit pas, Niels, qu’il frise l’impolitesse, le manque de respect ? Cette fois c’est trop, il a été conciliant mais là il ne peut plus supporter. Alors la colère prend le dessus et les mots, les gestes, sont brutaux. Qu’il débarrasse le plancher et qu’il ne revienne pas ! Quand même, il faut qu’il grandisse un peu, qu’il prenne conscience que la vie, ce n’est pas ça. Ah, mais tout le problème est là, c’est quoi la vie ?

Il est vrai qu’Éric, lui, a bien du mal à comprendre. Il est l’image même de la réussite sociale. Il est bien dans son époque, il vit dans le confort, voire le surconfort. Un mode de vie auquel on peut rarement échapper, car la société veille à nous l’imposer, elle s’assure qu’on ne puisse pas dévier de cette trajectoire consumériste qu’elle a soigneusement tracée pour nous. Au risque de se voir pointé du doigt par la population bienpensante. Jusqu’au jour où la vie se révolte et nous joue un vilain tour. Car personne n’est jamais à l’abri, même sur un piédestal. Et que reste-t-il quand on a tout perdu, emploi, statut social, femme et enfants ? Que les dettes s’accumulent et qu’il n’y a plus d’échappatoire ?

“Je ne savais pas comment j’avais échoué là. En revanche, pour la première fois depuis longtemps, je savais où j’allais.” Seul, acculé, Éric décide de renouer avec son fils. Là-bas, dans cette ZAD, il découvre un autre monde, une communauté d’entraide et de partage, des personnes de tout âge et de tout horizon, « jeunes hippies hilares, chèche ou bonnet tricoté main ; profils de profs, de syndicalistes en rupture de ban, avec lunettes pince-nez à la Zola ; vieux briscards à catogan chenu et gilet en peau de chèvre élimé « , mais portées par des aspirations communes. Éric a déjà perdu sa défiance, son assurance. On découvre désormais dans son regard toute la fierté et l’admiration qu’il éprouve pour son fils, qui a construit sa propre “maison”, travaille du lever au coucher du soleil, cultive ses légumes. Et il faut voir comme il est beau son potager ! La vérité c’est que Niels semble avoir trouvé son bonheur, et qu’il est en paix avec lui-même. Peut-être pourrait-il en faire autant ? “J’étais peut-être un père angoissé pour son fils, je n’en demeurais pas moins un citoyen veule, désengagé de tout combat, résigné à la fin proche de la planète et de l’espèce humaine.”

“Le roi-nu-pieds”, c’est l’histoire d’un père et de son fils, d’une relation à la communication défectueuse, comme cela arrive souvent entre différentes générations. C’est une histoire qui parle d’amour, filial ou parental c’est selon, de ce que chacun peut apporter à l’autre, car les enfants aussi ont des choses à apprendre aux parents. A travers ces deux figures, celle du fils et celle du père, l’auteur met également en lumière une problématique qui nous concerne tous, l’avenir de la planète.

J’ai été touchée par le personnage de Niels, par ses propos, son incroyable résolution et son espoir. Si, au début du récit, Niels peut paraître un peu immature, sans doute car nous sommes soumis au point de vue du père, je l’ai en réalité trouvé très sensé et réaliste. J’ai été surprise par sa tolérance. On aurait pu croire que sa conscience du monde puisse le rendre haineux envers tous ces gens qui vivent dans la démesure. Mais il ne semble pas vraiment vouloir convaincre à tout prix. La démarche ne peut venir que de nous.

J’ai vraiment beaucoup aimé ce roman, pour les thèmes qu’il aborde et la façon dont ils sont traités. C’est une histoire qui m’a émue pour des raisons personnelles, parce que l’auteur a posé des mots justes sur des sujets qui me tiennent à coeur. Parce qu’il n’y a pas de malveillance, d’un côté comme de l’autre. Au fil du récit, les préjugés sont habilement déconstruits. J’ai à nouveau été séduite par la plume de l’auteur, que j’avais découverte dans “Les désossés”. Une plume qui convoque facilement l’empathie et m’emporte inévitablement dans son histoire. A découvrir !

A lire aussi, ma chronique des « Désossés ».


Infos et Quatrième de couverture

Le roi-nu-pieds de François d’Epenoux
Édition : Anne Carrière – Parution : 06/01/2023 – 240 pages – ISBN: 9782380822687 – Genre : Contemporain.

« À travers une relation père-fils conflictuelle, une réflexion très actuelle sur le défi de la transition écologique, les limites de la société consumériste, le besoin de se recentrer sur l’essentiel…Niels, 25 ans, habite depuis des années dans une cabane sans eau ni électricité sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Il vit de dons et des produits de son potager. Un été, il débarque à l’improviste dans la maison de vacances familiale, accompagné de sa copine et de son chien. Il y a là son père, Éric, sa belle-mère, leur fils, et la grand-mère complice. La cohabitation devient vite explosive. Niels fume pétard sur pétard, dort le jour, boit de la bière… Excédé, son père finit par le chasser de la villa à grands coups de « dégage ! ».Mais la roue tourne. Deux ans plus tard, Éric se retrouve sans emploi. À bout de forces et endetté jusqu’au cou, il décide de rejoindre le seul être qui ne le jugera pas : son fils, Niels. Père et fils vont peu à peu se réapprivoiser, travailler ensemble sur la ZAD, Niels mettant son père à l’épreuve et Éric découvrant la « vraie vie » de son fils, les raisons de ses choix, son bonheur simple de Robinson en communion avec la nature. Chaque jour qui passe convainc Éric que là se trouve sa nouvelle vie. Jusqu’au moment où… »

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Cet article a 3 commentaires

  1. Ce roman a l’air sensible et très intéressant, par la relation qu’entretiennent ce père et ce fils, qui entrevoit chacun le monde de manière différente. J’aime bien l’idée de déconstruire les préjugés au fur et à mesure, et le personnage de Niels a l’air très touchant. Merci pour la découverte de ce titre Caroline. 😊

    1. Caroline

      Pour tout dire, j’ai frôlé le coup de coeur avec ce roman et je me rends compte que ces temps-ci, je prends plus de plaisir à lire des romans contemporains que des thrillers. Je ne compte plus les excellentes lectures que j’ai faites depuis décembre, comme « Histoires de la nuit » ou celui-ci.

      1. Ce genre de textes peut-être tellement poignant, que parfois le coup de cœur est inévitable. Et ça fait du bien de sortir un peu de ses genres de prédilections de temps en temps. 😉

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