Chronique – Chroniques sarrasines de Jacques Boireau

Chronique – Chroniques sarrasines de Jacques Boireau

Science-fiction, nouvelles

Date de lecture : 11-13 avril 2024

Reçu dans le cadre d’une Masse Critique Babelio.

J’apprécie particulièrement les opérations Masse Critique de Babelio, qui sont pour moi l’occasion de découvrir des maisons d’édition ou de nouvelles plumes. J’ai été immédiatement attirée par le titre et la couverture de ce livre. Jacques Boireau est un auteur que je ne connaissais pas, cela étant, la quatrième de couverture le mentionnait comme « spécialiste des uchronies douce-amères », ce qui a fortement résonné en moi. J’apprécie beaucoup les œuvres de sf en général, les uchronies et dystopies en particulier, même si finalement je m’y intéresse davantage en cinéma qu’en littérature.

J’ai pris plaisir à lire la préface, dont les informations m’ont été fortement utiles pour saisir le contexte et les histoires de cet ouvrage. Sans quoi, j’aurais peut-être été un petit peu perdue. Ce livre se compose de trois cycles, « Chroniques sarrasines », « La baie des espérances » et « La magie des îles ». Je les ai tous aimés. Certains personnages sont mentionnés plusieurs fois à travers les différentes nouvelles, mais d’un autre point de vue ou à une autre période. Parfois même, par une simple évocation, l’auteur rappelle à nos souvenirs un autre de ses cycles. Ainsi, nous retrouvons par exemple l’ombre de la Francie dans Quelques pas en arrière entre Styx et Achéron. Bien que ces textes aient été écrits à des périodes différentes, j’ai vraiment eu l’impression qu’ils étaient liés entre eux, comme faisant partie d’une œuvre riche et complexe.

« Djamal n’aimait pas la Francie, et cependant cet univers gris et lourd le fascinait. Eh oui, nous avons façonné notre monde à notre image, avec du blanc, des couleurs vives, du soleil, des eaux courantes, car nous aimons les eaux, le soleil, les couleurs vives et le blanc ; les Franciens, eux, aiment la grisaille, la brique patinée, la brume et les eaux dormantes où glissent avec lenteur de lourds chalands. »

Le cycle des « chroniques sarrasines » nous plonge dans une uchronie où la France est divisée en deux, depuis que les Arabes ont gagné la bataille de Poitiers au VIIIe siècle. La Francie chrétienne au nord de la Loire, est présentée comme assez rétrograde, dans sa mentalité comme dans ses évolutions techniques, alors que l’Occitanie au sud, majoritairement arabe, montre davantage de tolérance et de conscience écologique. Une dualité que l’on retrouve souvent, comme dans la première nouvelle, Les enfants d’Ibn Khaldoûn. Les nouvelles suivantes m’ont paru un peu plus sombres, L’été est suivi de L’automne, puis de L’hiver… et de L’hiver toujours.

Néanmoins, j’ai adoré plonger dans ces petites histoires, ces souvenirs, et suivre certains personnages à travers les saisons, tels que Nour Eddine, Sélim et Martial. Nour Eddine m’a touchée par son attachement profond à son frère Djamal, son admiration même, au point de le citer régulièrement, lui le poète et physicien, l’inventeur d’un monde meilleur. « c’est grâce au soleil et à lui que la maison des tiens est chauffée, que ton tapis volant se déplace sans bruit ni fumée ». Une référence qui rappelle aussi la forte thématique écologique de tous ces récits, où l’Homme a choisi d’emprunter la voie des énergies renouvelables (« solaire, marine, éolienne et géothermique »).

Les deux autres cycles, « La baie des espérances » et  » La magie des îles », m’ont profondément marquée par la mélancolie qui s’en dégage. Ce sont des textes à la dimension plus « futuriste » mais terriblement ancrés dans notre réalité, l’auteur abordant des sujets tels que la condition de la femme, les conflits sociaux ou les luttes ouvrières. Les Hommes ont colonisé d’autres planètes, d’autres galaxies même, mais la Terre est souvent évoquée, souvenir lointain d’une terre perdue. Cette ambiance particulière m’a rappelé ce que j’avais pu ressentir en lisant La mer de la tranquillité d’Emily Saint-John Mandel. Certains passages sont particulièrement poétiques : « certes, j’avais retrouvé là-bas le vent, les nuages, le soleil, et l’océan, je voyais, si je puis dire, cette mélodie qui me hantait, la mélancolie de ce lieu loin de tout qui n’était qu’un point minuscule sur la page de l’univers, un lieu sans âge où le temps semblait s’être arrêté ». Cela étant, le style de l’auteur n’est pas toujours simple à appréhender, les phrases sont très longues, comme si les protagonistes s’égaraient dans le flux de leurs pensées. Pour ma part, j’aime ce procédé, qui me permet de m’immerger pleinement dans l’âme des personnages et dans l’atmosphère autour.

Cet ouvrage a été pour moi une belle découverte et une incursion réussie dans l’univers de cet auteur. Je suis juste un peu étonnée du choix du titre, qui finalement ne reflète qu’une partie du contenu. Plusieurs jours après la fin de ma lecture, je suis encore imprégnée des émotions ressenties, de cette poésie et de cette « mélancolie douce, celle des saisons finissantes ou des enfances révolues. »

Infos & Quatrième de couverture

Chroniques sarrasines de Jacques Boireau
Éditeur : Les moutons électriques – Parution : 14/02/2024 – 352 pages – ISBN: 9782361838928.

Jacques Boireau (1946-2011) fut un secret bien gardé des littératures françaises de l’imaginaire. Révélé en 1976 dans la revue Univers, il poursuivit une discrète carrière de nouvelliste, seulement reconnue en 1980 par un prix Rosny aîné. Il est grand temps d’enfin découvrir cette forte plume, spécialiste des uchronies douce-amères.

Dans un monde où les Arabes ont colonisé la France dès le VIIe siècle, Les Chroniques sarrasines s’impose comme un roman d’une stupéfiante actualité.
Dès les années 1980, Jacques Boireau s’interroge sur l’importance cruciale d’une société écologique basée sur les énergies renouvelables et sur la tolérance et la cohabitation ethnique qu’il juge possible et les conséquences d’une occupation, quand bien même celle-ci est devenue douce.

Débuté en 1976, le cycle des Chroniques sarrasines a été poursuivi par son auteur pendant 40 ans et le manuscrit complet a été retrouvé après sa mort par le spécialiste Richard Comballot. Il s’agit donc d’une œuvre très longuement peaufinée, comparable au meilleur de Jacques Abeille et d’Ursula Le Guin.
À l’écoute des retours que nous avons eu sur notre collection La Bibliothèque des vertiges, nous avons pris la décision de refondre la charte graphique de celle-ci.

En 2024, nous proposons des couvertures plus figuratives, en accord avec les codes contemporains du genre, mais toujours avec l’approche visuelle qui fait le cœur de notre maison.

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Cet article a 11 commentaires

  1. Tu en parles très bien et je serais curieuse de parcourir ces trois cycles.

    1. Caroline

      En plus, ils peuvent se lire indépendamment, quand on en a envie, d’autant qu’il ne s’agit que de nouvelles. 😊

  2. Et bien tu me fais découvrir un ouvrage qui en plus pourrait me plaire au vu de ton retour. Je le note ne sait-on jamais. En plus tu y vois une comparaison avec « La mer de la tranquillité » d’Emily Saint-John Mandel que j’ai beaucoup aimé, alors…. 😉

    1. Caroline

      Oui, pas dans tous les cycles, mais dans les deux derniers surtout, je ne sais pas, une question d’atmosphère et de mélancolie justement.

  3. Le postulat de départ est particulier ! Je pense que dans tous les cas, il est bien de réveiller les consciences écologiques notamment, mais sans culpabilisation…
    Je suis attirée par ces nouvelles que tu décris plus sombre 😊 (comme c’est étonnant 😅).

    1. Caroline

      Oui, ces nouvelles que j’ai trouvé plus sombres le sont à cause de l’ambiance, et aussi car j’ai trouvé triste qu’il n’y ait pas de printemps sur ce cycle là. C’est difficile de parler d’un ouvrage qui regroupe des nouvelles écrites sur plusieurs années. En vérité, c’est assez dense et il y a beaucoup de choses à dire, ce qui est sûr c’est que j’ai été imprégnée par ces histoires.

  4. Ludivine

    C’est un genre que j’aime bien aussi en séries ou en film mais que je connais très peu en littérature. Comme quoi, c’est marrant les préférences en fonction du support. 😁 Rien que le titre « L’hiver toujours » me paraît bien triste tu as raison ! Comme si la population devait vivre dans le froid et la nuit sans jamais plus connaître la chaleur du soleil et la douceur de la nature. Malgré tout le bien que tu dis de cet ouvrage, je passe mon tour, c’est un peu trop éloigné de mes habitudes 😉

    1. Caroline

      Je comprends Ludivine, je l’ai aussi choisi un peu pour ça, par curiosité et parce que je lis très peu de nouvelles et de nouvelles de sf encore plus. Malgré tout, j’ai bien aimé cette rencontre. 😊

      1. Ludivine

        Si tu as passé un bon moment c’est le principal, changer d’horizons de temps en temps c’est sympa alors quand ca fonctionne, c’est encore mieux. 🙂

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