Chaleur humaine de Serge Joncour
Contemporain
Date de lecture : 23-24 nov. 2023
« Les floraisons et les phases de la lune étaient ses guides, selon lui la nature donnait le rythme, il suffisait de l’épouser. »
Alexandre élève des vaches aux Bertranges, la ferme d’en-haut, tandis que ses parents cultivent désormais des légumes un peu plus bas. Le vivant et la nature sont au centre de leurs préoccupations, rythment leur quotidien. Quand le virus du COVID pointe le bout de son nez en 2020, passant d’épidémie lointaine à pandémie très concrète, leur relative tranquillité va se trouver bouleversée par la venue des sœurs d’Alexandre et de leurs familles. Ces derniers, désireux de ne pas passer le confinement enfermés dans leurs appartements, ont décidé de fuir la ville pour la campagne. Une cohabitation qui ne sera pas toujours simple, où chacun devra apprendre à vivre ensemble, et peut-être aussi réapprendre ce qui compte vraiment. Un retour à la terre salvateur, une terre qui rassemble.
Ce qui m’a le plus frappée au départ, c’est le clivage ville/campagne et le contraste entre ces deux modes de vie. D’un côté, nous observons la montée de l’angoisse dans les villes due à la pandémie, leurs habitants rivés sur l’actualité. De l’autre, nous avons ces ruraux, qui sont habitués aux épidémies, notamment dans les élevages, et pour lesquels la COVID n’en est qu’une parmi tant d’autres. « J’en pense qu’ils nous ont pondu un Conseil scientifique et qu’il n’y a pas un seul vétérinaire dedans. Endiguer des épidémies, nous, on le fait à longueur d’année. » Une façon de nous rappeler que nous appartenons aussi à cette Terre, au même titre que le reste de la faune et de la flore.
D’un point de vue familial, on ne peut pas dire que l’ambiance soit au beau fixe. Alexandre ne côtoie plus ses sœurs depuis que ces dernières, il y a plusieurs années, ont vendu une partie des terres familiales à des promoteurs d’éoliennes, avant d’aller vivre leur meilleure vie en ville. Pourtant, les revoilà aujourd’hui, venues trouver refuge dans les terres de leur enfance. C’est la peur qui a conduit leur décision, et la peur est plus forte que le fait d’être en froid avec leur frère. Il faut dire que le climat est anxiogène, les médias alarment, alimentent cette peur, accentuent l’inhumanité et le sentiment d’oppression.
À travers différents personnages, Serge Joncour abordent des sujets sociétaux marquants, sans pour autant sombrer dans le cliché ou le jugement. Il nous livre aussi le récit d’un monde rural loin de l’image d’Épinal des publicités touristiques. Dans ce monde-là, les gens de la campagne ont des préoccupations qui paraissent bien lointaines à la plupart des habitants des villes. Dans ce monde-là, on constate chaque jour un peu plus les ravages du dérèglement climatique sur la biodiversité. Dans ce monde-là, la réalité des déserts médicaux nous heurte de plein fouet. Et quand on a pour seul médecin à des kilomètres à la ronde un vétérinaire, on s’estime déjà bien chanceux.
Malgré ces thématiques, c’est vraiment un beau roman, porté par des protagonistes attachants, comme autant de points de vue. Même Greg, pourtant navrant par bien des aspects, m’a souvent fait sourire. Il va sans dire qu’Alexandre est celui que j’ai préféré, avec son calme exemplaire, sa tolérance, sa bienveillance. Sous ses airs mutiques, c’est un homme pragmatique et affirmé, sur lequel on peut toujours compter. J’ai également aimé son amie Constanze, militante écologiste apaisée, et les personnes qui gravitent autour d’elle. Sans oublier les chiots fougueux et débordant d’amour, qui vont réunir malgré eux tous ces humains un peu perdus.
Cette lecture a été pour moi une véritable rencontre ! Une rencontre avec un auteur et sa plume, mais aussi avec un récit qui a immédiatement résonné en moi. Un récit que j’ai trouvé relativement bienveillant et empli de chaleur humaine.
Extrait
Il y a tout de même un extrait que j’aimerais partager avec vous, parce qu’il me tient à cœur.
C’est bien sur le même ton affolé que Constanze lui certifia que cette nouvelle pandémie était un signe. Cette fois, entre la nature et l’humanité, les hostilités étaient déclarées, cette fois la nature s’attaquait aux humains et elle n’en finirait plus désormais de nous déborder, parce que en plus de nouveaux agents infectieux, il faudrait se confronter à la montée des océans, aux vagues de chaleur et surtout au manque d’eau douce qui soulignerait le triomphe des eaux salées. Le feu et le sel, ces périls ultimes, signeraient la mort de toute vie.
En écoutant Constanze, Alexandre ne voulait pas commettre la même erreur qu’avec Crayssac, il ne négligeait plus ces prophéties que lui-même observait désormais à l’échelle d’une vie, parce que après la vache folle, le sida et les tempêtes, depuis vingt ans c’est vrai que les périls se renouvelaient, les grippes aviaires comme les grippes porcines n’en finissaient pas de se rapprocher de l’humain, la tuberculose bovine repartait de plus belle pendant que mille autres périls survenaient, de la maladie de Lyme à la pyrale, des frelons asiatiques aux scolytes des pins, des arboviroses à tant d’autres maladies inédites, sans compter les sources qui, une à une, s’asséchaient sur le plateau, les forêts épuisées à force de vagues de chaleur, et voilà qu’un coronavirus surgi de nulle part s’attaquait aux cinq continents. Alexandre aurait aimé pouvoir dire à Crayssac qu’il avait eu raison sur tout, mais il était mort depuis trente ans, sans illusions et surtout sans remords, parti sans même savoir que son pessimisme était du bon sens. À ceux qui l’avaient encouragé à tenir jusqu’à l’an 2000, il avait répondu qu’il désirait mourir avant de voir ça. Il ne voulait surtout pas changer de siècle, et encore moins de millénaire, parce qu’il pressentait que s’ouvrirait alors une ère nouvelle, après l’âge du fer et du bronze viendrait celui du feu.
— Extrait de Chaleur humaine, de Serge Joncour

Chaleur humaine de Serge Joncour
Éditeur : Albin Michel – Parution : 23/08/2023 – 352 pages – ISBN: 9782226478344
Ceci est un roman total.
Entrelaçant l’histoire du monde et une histoire de famille, il embrasse notre présent et nos fautes passées.
En quelques semaines, du début du mois de janvier 2020 à la fin du mois de mars, le quotidien d’une famille française va basculer en même temps que l’humanité.
Fuyant le confinement urbain, Vanessa, Caroline et Agathe se réfugient aux Bertranges, une ferme du Lot entre les collines et la rivière, où leurs parents vivent toujours. Les trois sœurs y retrouvent Alexandre, ce frère si rassurant avec qui elles sont pourtant en froid depuis quinze ans, ainsi que des animaux qui vont resserrer les liens du clan.
Tandis que, du dérèglement climatique aux règlements de compte, des épidémies aux amours retrouvées, la nature reprend ses droits, ces hommes et ces femmes vont vivre un huis clos d’une rare intensité.
Avec Chaleur humaine, Serge Joncour nous tend un miroir vertigineux et, ce faisant, il ajoute une pierre essentielle à son œuvre.
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Je ne connaissais pas ce roman et n’étais pas spécialement attirée par les thématiques, mais ce que tu dis sur les personnages me rend finalement curieuse de les rencontrer. A voir si un jour je le trouve d’occasion, pourquoi pas.
Peut-être que tu peux en trouver un autre dont la thématique te plaît davantage. En tout cas, c’est une plume à découvrir.
Merci Caroline pour ce très joli retour sur Serge Joncour. Je ne pense pas avoir déjà lu cet auteur mais ce que tu nous en dis donne envie !
Je ne vois ton commentaire que maintenant Frédéric. C’est un auteur à découvrir, j’aime son écriture et l’humanité des personnages, avec leurs points forts et leurs failles.
Je trouve chouette que l’auteur ne tombe pas dans les préjugés, assez faciles avec ce genre de cadre et de thèmes.
Oui, c’est vrai, et finalement même, malgré les thématiques et la terrible réalité climatique, j’ai trouvé que l’auteur nous offrait un peu d’espoir.
Je recherche de plus en plus cette touche d’espoir dans mes lectures…
Maintenant que tu le soulèves, c’est vrai que les éleveurs sont confrontés à bon nombre d’épidémie avec leurs animaux. Je pense particulièrement aux éleveurs de volaille qui sont régulièrement touchés depuis deux ou trois ans. C’est bien vrai ce que tu en dis, c’est un rappel qu’on fait partie d’un tout, et que non, l’être humain n’est pas une espèce supérieure pour la planète. Nous sommes aussi vulnérables que n’importe quel être vivant. Les sujets évoqués dans ce livre sont particulièrement d’actualité et sont très intéressants, merci pour cette découverte Caroline 🙂
Avec plaisir ! C’est une lecture qui m’a beaucoup touchée et que j’aurais dû partager avec vous beaucoup plus tôt.
Il nous faut parfois un peu de temps pour parler un d’un livre, ça arrive. Entre le blog, le quotidien, les autres lectures,… Mais tu as réussi à nous offrir un bel article 🙂
J’ai déjà lu deux romans de Joncour avec plaisir et j’ai « Nature humaine » sur mes étagères qui je crois se situe avant celui-là.
Oui c’est bien ça, on retrouve, je crois, la même famille, mais pendant la tempête de 99.
Un auteur à découvrir en ce qui me concerne, et voilà un avis qui me donne envie de le lire, merci !
J’espère que tu auras l’occasion de découvrir sa plume.
Merci Caroline pour ce retour ! J’ai très envie de découvrir cet auteur.
Merci Caroline pour cet avis plein d’émotion et de justesse. Serge Joncour est un auteur dont j’ai beaucoup entendu parler dans mon ancien cercle de lecteurs. Et je l’avoue, je ne l’ai jamais lu, malgré tout le bien que ses lecteurs disent de ses romans. Ce « Chaleur Humaine » est intriguant ; ce que tu nous décris de ce clivage, parfois gigantesque entre le monde rural et urbain, me donne envie de le découvrir. Merci 😘
Mince, je ne vois ton commentaire que maintenant Céline ! Tu as peut être déjà découvert l’auteur depuis. En tout cas, j’adore son écriture et ses personnages !
Merci pour le retour qui m’attire. Et j’avoue je n’ai jamais lu Serge Joncour
C’est une plume à découvrir. D’ailleurs, je compte bien lire ses autres romans, notamment Nature humaine, où l’on retrouve les mêmes personnages mais pendant la tempête de 99 !