Chronique - Bones Bay de Becky Manawatu

Chronique – Bones Bay de Becky Manawatu

Bones Bay de Becky Manawatu

Contemporain

Date de lecture : 4-8 oct. 2022

J’ai fait la demande de ce roman lors d’une masse critique Babelio. J’avais lu une très belle chronique sur le blog Aire(s) Libre(s), et j’avais très envie de me plonger dans cette histoire. Un livre de la rentrée littéraire 2022 dont j’ai très peu entendu parler. Il n’est pas sur le devant de la scène et pourtant, il mériterait !

Taukiri a dix-sept ans et Ārama huit ans et demi lorsque leurs parents décèdent. L’aîné décide alors de laisser son petit frère chez leur tante Kat et leur oncle Stu, à la campagne. Puis il part, avec pour seuls bagages sa planche de surf, sa guitare et son os sculpté. Une histoire contée par plusieurs voix, celle de Ārama, celle de Taukiri et celles de Jade et Toko. Autant de vies poignantes et passionnantes, puisées dans le passé et le présent, dont les récits vont s’entremêler.

Je suis entrée avec une très grande facilité dans cette histoire, où dès le départ j’ai été touchée par les personnages et leur authenticité. Je me suis prise d’affection pour le jeune Ārama dit « Ari », abandonné dans ce nouveau foyer, qui n’est pas des plus accueillants. Si les démonstrations d’affection de sa tante Kat sont un peu maladroites, elles sont néanmoins sincères. Mais l’oncle Stu règne en patriarche autoritaire, et ses accès de violence déstabilisent l’enfant, qui jusqu’à présent n’avait connu que l’équilibre d’une famille aimante. On ressent son désarroi, le manque de sa mère, de son frère et de sa grand-mère. Alors l’enfant pose des sparadraps sur son corps, ces pansements magiques qui pour lui guérissent toutes les blessures, même les maux de l’âme. Un remède efficace, qui le rassure instantanément. Son frère va revenir bientôt, et sa grand-mère est occupée à chercher sa deuxième boucle d’oreille. Ça peut prendre du temps ces choses-là. Il est émouvant ce petit garçon, tout comme l’écriture qui sert son histoire. Une écriture simple, d’enfant, désarmante de sincérité.

Heureusement, Ārama trouve en sa voisine Beth une amie de choix. Beth, c’est la rudesse de la campagne, un côté brut de décoffrage, sans langue de bois, qui surprend chez une petite fille si jeune. Elle aussi a perdu sa mère, mais il lui reste son père, Tom Aiken, et Lupo, son chien. Ils sont extra ces trois-là ! Ils sont la part de lumière dans la nouvelle vie d’Ari. Ils sont un souffle apaisant pour le lecteur, dont le coeur est mis à rude épreuve par les autres chapitres.

« Lupo remuait la queue parce qu’il croyait que c’était un moment joyeux. Il savait rien des au revoir. »

Dans ce récit, la violence a une grande part, qu’elle soit directe ou indirecte. Elle est ancrée et indissociable de chaque existence, comme une fatalité à laquelle on ne peut échapper. Cette violence, il faut l’encaisser, elle vous met en rage, elle vous afflige, elle vous serre le coeur. Et quand deux enfants de huit ans regardent et jouent à « Django Unchained », vous réalisez alors l’importance de cette violence au quotidien, pour ne pas parler de sa « banalisation ».

« C’est raide, gamin. Ce monde-là, il fait pas de cadeau. On n’a qu’à aller jouer à Django, à la place. »

Toutefois, des passages d’une grande poésie contrastent avec la brutalité de ce monde. J’ai aimé les nombreuses références à la mer, au chant, à la musique et à la nature. L’écriture est belle, puissante, elle retentit en nous. J’ai aimé découvrir certaines traditions maories, telles que le « tangi » et son pouvoir libérateur, guérisseur. Des moments intenses qui m’ont parfois émue aux larmes.

« S’il le faut, on fera durer le tangi une éternité. Alors la musique s’est abattue sur Jade, et toute la douleur. »

La mer, elle aussi, tient une place essentielle. Elle est partout, elle suscite amour et haine, elle peut prendre ou donner, selon son bon vouloir. Taukiri ne peut plus s’en approcher, car la mer est « une salope, une salope monstrueuse », qui le condamne à transporter une planche de surf qui ne servira sans doute jamais plus. Qui le condamne à porter le fardeau de la culpabilité.

Mon intérêt pour cette histoire n’a jamais souffert. La construction du récit entretient une forme de suspense, avec une intrigue qui saura trouver son dénouement. Ārama, Taukiri, Jade et Toko, autant de voix qui trouvent leur source dans la tristesse, la douleur et l’amour, qui se succèdent avant de s’unir en un chant unique et émouvant. Malgré le côté souvent tragique, l’espérance m’a portée tout au long du roman et j’ai refermé ce livre avec un fort sentiment d’amour et l’intime conviction que je le relirai.

« Bones Bay », c’est beau, c’est tragique et c’est violent. C’est un récit magnifique et déchirant, que je ne suis pas près d’oublier !

Roman lu dans le cadre d’une Masse Critique Babelio. Je remercie Babelio et la maison d’édition pour l’envoi de ce roman.


Infos et Quatrième de couverture

Bones Bay de Becky Manawatu
Edition : Au vent des îles – Parution : 08/09/2022 – 430 pages – ISBN: 9782367344379 – Genre : Littérature néo-zélandaise.

« Nouvelle-Zélande, aujourd’hui. Le chant de Taukiri résonne dans le grondement de cette mer qu’il aime et déteste à la fois, dans la musique qu’il tire de la guitare héritée de son père. Le jeune homme fuit sur l’autre île, au nord, espérant échapper au poids des secrets de famille. Ārama, son petit frère qu’il a abandonné dans un foyer hostile, est celui dont on n’attend rien. Pourtant, avec l’ardeur et la grâce des vulnérables, le garçon s’obstine à révéler l’éclat de la vie dans chaque faille où elle peut encore trouver à se faufiler. Becky Manawatu fend la littérature avec l’élégance d’un rêve. Elle se coule dans la force de l’océan, absorbe ses remous, danse sur ses crêtes, vive, déchirante et indomptable. Un roman à la fois brutal et sublime, une nouvelle voix puissante de la fiction néo-zélandaise. »

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Cet article a 11 commentaires

  1. Eh bien, tu sembles conquise par cette lecture. Je t’avoue que je ne me serais pas spécialement intéressée à son contenu en le voyant mais avec ta belle chronique, pourquoi pas. J’apprécie déjà le personnage de Beth et son côté brut de décoffrage que tu décris et son histoire. 🙂 Ce livre semble plein d’émotions !

  2. Steven

    Je ne suis pas dans le bon état d’esprit pour ce genre de lectures mais vu les émotions que tu as ressenti, je me le note pour le printemps prochain !

    1. Caroline

      Je le conçois tout-à-fait Steven ! Même si ce roman est très beau, certaines situations sont quand même dures à encaisser parfois, du fait de l’attachement aux personnages.

    1. Caroline

      Oh oui ! De mon point de vue, il est impossible de rester insensible à tous ces récits.

    1. Caroline

      Avec plaisir Sonia ! J’espère que tu auras l’occasion de le lire et qu’il te plaira !

  3. C’est vrai qu’on l’a peu vu passer alors qu’il semble fort ce roman. Je trouve intéressant que malgré la brutalité, sa cache aussi une certaine poésie.

    1. Caroline

      Oui ! C’est un roman que j’ai trouvé très fort et très beau. J’ai aimé passionnément ses personnages (enfin pas certains !😁) et, même si je n’y connais pas grand-chose en en littérature, j’ai trouvé l’écriture vraiment très belle !

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