Chronique – Les yeux de Mona de Thomas Schlesser

Les yeux de Mona de Thomas Schlesser

Contemporain

Date de lecture : 9-14 fév. 2024

Lecture audio → Roman lu par François Cognard.

Roman lu dans le cadre du Prix Audiolib 2024.

« Maman, c’est tout noir ! »

Alors qu’elle fait ses devoirs, Mona, dix ans, se retrouve subitement atteinte de cécité. Soixante-trois minutes, c’est le temps qu’aura duré ce noir complet. Soixante-trois minutes qui vont paraître une éternité à l’enfant et à ses parents. Soixante-trois minutes d’angoisse, que ne parviendront pas totalement à apaiser les résultats d’examens du médecin, inapte à fournir une explication quant à cet évènement. Alors, pour que Mona puisse affronter son anxiété, Henry, son grand-père, est chargé de l’accompagner tous les mercredis chez un pédopsychiatre. Mais le « Dadé » a un tout autre projet. À la place, il décide de la conduire chaque semaine en cachette au musée du Louvre, pour qu’elle puisse y admirer les splendeurs du monde.

« Si, par malheur, Mona devenait un jour aveugle à jamais, elle jouirait au moins d’une sorte de réservoir, au fond de son cerveau, où puiser des splendeurs visuelles. Une fois par semaine, selon un rituel immuable, il prendrait Mona par la main et l’emmènerait contempler une œuvre – une seule –, d’abord dans un long silence, pour que l’infini délice des couleurs et des lignes pénètre l’esprit de sa petite-fille, puis en mots, afin qu’elle dépasse le stade du ravissement visuel pour comprendre comment les artistes nous parlent de la vie, et combien ils l’éclairent. »

Avec Les yeux de Mona, Thomas Schlesser nous emmène à la découverte de cinquante-deux œuvres d’art, peintures, sculptures, ou encore performances. Cinquante-deux chapitres, à travers lesquels nous arpenterons, une année durant, les couloirs de trois musées parisiens, le Louvre, Orsay et Beaubourg. Suivant une trame chronologique, nous allons explorer cinq siècles d’art, de la Renaissance en passant par l’époque moderne puis contemporaine.

L’auteur est particulièrement pédagogue. Grâce à lui, j’ai redécouvert certaines œuvres, j’ai appris à les regarder autrement, laissant de côté les quelques clés fournies par mes études d’histoire de l’art. J’ai retrouvé ce qui m’avait tant plu dans le célèbre ouvrage de Daniel Arasse, On n’y voit rien, cette manière ludique de transmettre les connaissances et d’exercer son œil. Si certains historiens d’art m’ont laissé une image parfois un peu rigide, chez Thomas Schlesser j’ai ressenti une simplicité et une passion communicative. Ainsi, l’une des premières « leçons » de Mona est d’apprendre à contempler une œuvre, l’observer, s’en imprégner jusqu’à s’animer à son contact.

Sandro Botticelli, Vénus et les trois Grâces offrant des présents à une jeune fille, (1475 – 1500) – Musée du Louvre, Département des Peintures, RF 321
© 2013 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

J’ai été ravie de commencer ce parcours par un artiste que j’adore, Botticelli, et sa fresque Vénus et les trois Grâces offrant des présents à une jeune fille. De même, il y a des artistes que je ne connaissais que de nom, et que je n’avais jamais étudiés, je pense notamment aux femmes, Marie-Guillemine Benoist, Marguerite Gérard, Hannah Höch, Camille Claudel, etc. J’ai aimé découvrir des anecdotes sur les artistes, sur le contexte historique des œuvres, comment, par exemple, Frida Kahlo a tenté d’ « apprivoiser la souffrance morale et physique » grâce à la peinture, ou encore comment Nicolas Poussin, malgré ses tremblements, proposait des œuvres « d’une extraordinaire stabilité esthétique ».

« Mona, c’est exactement le meilleur que nous avons en chacun de nous. »

Thomas Schlesser dans l’entretien Audiolib tiré du livre audio Les yeux de Mona.

Cela étant, le fil conducteur de cette histoire reste Mona, qui évolue grâce aux enseignements artistiques dispensés par son grand-père, la vie des œuvres et des artistes s’entremêlant subtilement à la sienne comme les pièces d’un immense puzzle. Une narration qui peut parfois sembler un peu répétitive, ou tout du moins suivre le même schéma à chaque chapitre, malgré tout, j’ai apprécié cette belle histoire. J’ai apprécié les protagonistes, Mona et sa famille, son père, notamment, mais aussi les thèmes évoqués par l’auteur, à travers le personnage de Colette particulièrement.

« Son grand-père, après l’avoir conduite la semaine précédente devant un porte-bouteilles, l’emmenait cette fois-ci devant une croix noire sur un fond blanc, sans fruit, sans fleur, sans visage ni paysage, sans bataille ni détail, sans même une touche de rouge ou une pointe de jaune. Puisqu’il semblait vouloir la mettre au défi de passer un très long temps devant presque rien, eh bien soit, elle résisterait. »

Kasimir Malévitch, « Croix [noire] », 1915
Photo : Centre Pompidou, Mnam-Cci/Philippe Migeat/Dist. Rmn-Gp

Pour ma part, cette fiction m’a donné envie de me replonger dans l’iconologie et l’historiographie, et je dois dire qu’il a convoqué quelques souvenirs nostalgiques, tels que le ronronnement rassurant de l’appareil à diapositives, les voix des maîtres de conférences qui résonnent dans l’amphithéâtre et les capuccinos du Sirtaki. Mais, je m’égare…

Les yeux de Mona est un joli roman initiatique, qui ravira aussi bien les amateurs d’art que les amateurs de belles histoires. Alors, suivez le guide !

Mon avis sur la version audio Audiolib :

On pourrait croire que ce roman qui parle d’art, plus particulièrement d’art visuel, ne se prêterait peut-être pas au format audio. Eh bien si ! Les images se dessinent sans peine dans notre esprit, grâce aux descriptions habiles de l’auteur. Par ailleurs, François Cognard, le narrateur, m’a plongée d’emblée dans le récit avec sa voix grave et harmonieuse. Il a ce timbre profond dont j’aime entendre les nuances grâce à mes écouteurs. Il interprète aussi bien le grand-père, imposant et parfois un peu froid, que Mina, dont l’espièglerie et la bonté illuminent cette histoire. L’entretien avec Thomas Schlesser en fin d’écoute est particulièrement intéressant, aussi j’ai découvert avec joie cet auteur et le contexte de création de son roman. Une belle écoute !

Infos et Quatrième de couverture

Les yeux de Mona de Thomas Schlesser

Éditeur : Audiolib – Parution : 09/02/2024 – Durée : 16h40min – ISBN/ASIN: 9791035415990 – Lu par François Cognard
📕En grand format chez Albin Michel, 2024

Mona, 10 ans, apprend qu’elle va devenir aveugle. Son grand-père, personnage fantasque et cultivé avec qui elle entretient une relation lumineuse, entreprend alors de lui faire découvrir chaque semaine un grand chef d’œuvre de l’histoire de l’art, afin de mettre toute la beauté du monde dans ses yeux pendant les 52 semaines qui lui restent à voir.
Ils parcourront ainsi l’histoire de l’art en 52 tableaux majeurs, de Botticelli à Soulages, en arpentant les trois plus illustres musées de Paris : Le Louvre, Orsay et Pompidou.
Chaque découverte s’accompagnera d’une leçon philosophique inspirée par l’œuvre — la générosité, la transgression, le spirituel, la mélancolie, la révolte… —, qui aidera Mona à se préparer à l’inéluctable…

Suivi d’un entretien avec l’auteur

Et comme les mots peuvent sembler parfois bien fades, rien de mieux qu’écouter un extrait pour se faire un avis.

Mes recommandations en rapport avec ce livre

Je n’ai pas forcément envie de vous proposer des livres qui parlent d’art, mais plutôt des ouvrages qui abordent de façon ludique l’histoire, la mythologie ou l’art. Parmi eux, me vient à l’esprit le génialissime Mythos de Stephen Fry, dans sa version audio, qui est un vrai régal. Avec ce roman drôle et passionnant, vous découvrirez la mythologie autrement. Mais aussi On n’y voit rien, écrit par l’historien d’art Daniel Arasse. Un livre qui permet d’aborder la peinture de manière différente, non sans humour, par le biais de six fictions narratives. Ce sont deux livres accessibles à tous, tout comme Les yeux de Mona.

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Cet article a 20 commentaires

  1. C’est vrai que j’ai déjà vu passer ce livre, mais pour le coup, je ne pensais pas du tout qu’il parlait de ce sujet (je ne sais pas trop ce que j’imaginais lol). Du coup, je suis quand même assez intriguée.

    1. Caroline

      La couverture peut être trompeuse mais elle reflète quand même bien le côté lumineux malgré un sujet difficile !

  2. Je dois dire que son côté accessible m’intéresse bien… Je n’y connais rien dans ce domaine, ça peut être intéressant de s’y pencher de cette manière 🙂

    1. Caroline

      Disons que c’est un bon compromis, d’un côté, une belle histoire, de l’autre, quelques infos passionnantes sur l’art. 😊

  3. Merci Caroline. Je vais me lancer avec plaisir dans l’écoute. Je vais peu au musée, lis peu sur l’art, je vais apprendre plein de choses, j’ai hâte.

    J’aime bien dans ton article que tu mettes en lumière d’autres livres, du même thème, chouette idée !

    Bonne journée.

    1. Caroline

      C’est vrai que je le fais souvent quand le thème m’inspire, je trouve ça sympa. En tout cas, j’espère que tu apprécieras ton écoute ! 😊

  4. Un roman que je vois partout. Je suis très tentée par cette lecture et ton avis me conforte qu’il faut que je le glisse entre mes mains. Merci à toi pour ton retour.

  5. Sandrine

    Ça ne doit pas être facile de décrire des tableaux dans un roman en le rendant vivant alors que le lecteur (ou auditeur) ne l’a pas sous les yeux et ne le connait pas forcément.

    1. Caroline

      Eh bien l’auteur est vraiment habile. Tu ne vas pas avoir forcément une description détaillée et assommante, juste ce qu’il faut pour bien spatialiser la scène, les personnages, leur attitude et pouvoir en tirer une interprétation, un message etc. Du coup, ça passe super en audio. Et puis, beaucoup de ces œuvres sont connues du grand public, ça aide aussi.

  6. Comme ça doit être affolant de vivre un épisode de cécité temporaire, et pour une enfant ça doit être tellement effrayant ! J’aime l’idée de faire vivre cette histoire à travers des œuvres d’art et malgré l’aspect répétitif, ça doit être agréable de parcourir ces œuvres avec un esprit familial qui domine entre les personnages. 🙂 Je vais regarder si je le trouve en papier à la bibliothèque. 😃

  7. Un roman dont j’ai beaucoup entendu parler. Ton avis me convainc. 🤩

    1. Caroline

      D’après beaucoup d’avis qui se rejoignent, ce livre serait à l’histoire de l’art ce que Le monde de Sophie est à la philosophie. Je ne peux pas confirmer, car je n’ai jamais lu Le monde de Sophie, ce que je peux dire toutefois c’est qu’il s’agit d’un joli roman. L’histoire de Mona est émouvante et les visites au musée sont vraiment ludiques. 😊

      1. Je n’ai jamais lu « Le monde de Sophie » non plus. 🫣 mais en tout cas, je me note celui-ci, le monde de l’art étant passionnant. 😘

  8. Merci pour cette belle découverte. Moi qui regrette de ne jamais rien lire sur l’art, ce roman semble parfait pour y remédier d’autant qu’il est porteur en parallèle de sa propre histoire.

    1. Caroline

      Oui, le fait qu’il y ait une histoire en toile de fond, qui se déroule tout au long du roman, permet de « casser » un peu le schéma répétitif des visites hebdomadaires au musée. En tout cas, c’est un joli roman, bienveillant et ludique. Pour ma part, j’ai adoré toute la partie qui évoque l’art des XIXe et XXe siècle. Je me rends compte que j’en connaissais finalement assez peu sur le XXe, mais aussi sur les artistes féminines, qui à mon époque (il y a 17 ans) étaient assez peu évoquées en cours, voire pas du tout. J’espère que ça a changé depuis.

  9. Merci Caroline ! Je ne vais pas tarder à le lire aussi. J’en intercale un autre du Jury avant, puis je m’y plonge ! Bon WE. Anne

  10. Hedwige

    Et comment les parents de Mona ont-ils pris le détournement du grand-père chargé de conduire la petite chez le pédopsychiatre ?

    1. Caroline

      Ah ah ! Qui sait, peut-être ne l’apprendront-ils jamais ! 😉

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