Les enfants endormis d’Anthony Passeron
Roman, Récit, Témoignage
Date de lecture : 25 avril 2024
Lecture audio → Roman lu par Loïc Corbery – Roman lu dans le cadre du Prix Audiolib 2024.
Coup de cœur
Comment vous parler de ce livre que j’ai tant aimé, dans l’espoir qu’il éveille votre intérêt ? Comment faire en sorte de le démarquer de tous les autres livres que j’ai pu vous présenter et que j’ai aimés aussi ? Voilà les questions qui me hantent depuis que j’ai terminé Les enfants endormis, il y a quelques semaines. Bien sûr, je peux vous livrer les grandes lignes de l’histoire, mais c’est surtout la force du récit et les émotions vécues que j’aimerais partager avec vous. Avant tout, il faut que vous sachiez que je ne suis pas amatrice de lectures autobiographiques, biographiques ou encore de témoignages ou de faits divers. Je me suis plongée dans ce livre plus par obligation que par intérêt, puisqu’il fait partie de la sélection du Prix Audiolib 2024. Et puis voilà, Anthony Passeron a fait tomber toutes mes barrières.
Dès les premières lignes, les premières minutes d’écoute dans mon cas, j’ai été captivée par ce récit. Rien qu’en découvrant la plume, sobre, délicate et en même temps d’une grande force évocatrice, j’ai su que ce livre allait m’emporter dans son sillage, me toucher en plein cœur et marquer ma mémoire. Parce qu’il y a ce quelque chose dans la façon d’aborder le sujet, une franchise pudique dans l’intime et une construction captivante de l’histoire.
« Sans doute que ça a commencé comme ça. Dans une commune qui décline lentement, au début des années 1980. Des gosses qu’on retrouve évanouis en pleine journée dans la rue. On a d’abord cru à des gueules de bois, des comas éthyliques ou des excès de joints. Rien de plus grave que chez leurs aînés. Et puis on s’est rendu compte que cela n’avait rien à voir avec l’herbe ou l’alcool. Ces enfants endormis avaient les yeux révulsés, une manche relevée, une seringue plantée au creux du bras. Ils étaient particulièrement difficiles à réveiller. Les claques et les seaux d’eau froide ne suffisaient plus. On se mettait alors à plusieurs pour les porter jusque chez leurs parents qui comptaient sur la discrétion de chacun. »
Anthony Passeron met en parallèle l’histoire de sa famille et de son oncle Désiré, atteint du sida dans les années 1980, avec les recherches sur le virus qui ont été menées par la France et les États-Unis à la même période. Deux récits qui se font écho, distants l’un de l’autre et pourtant très proches dans les sentiments vécus, l’impression de solitude notamment. Une alternance qui rythme à merveille le récit, entretient l’espoir et rend moins pénible aussi l’émotion qui nous submerge.
J’ai adoré découvrir les deux versants de cette histoire. J’ai appris énormément d’éléments sur la propagation du virus et la difficulté qu’ont eue ces chercheurs français à se faire entendre de leurs pairs. J’ai été étonnée par le mépris auquel ils ont dû faire face, un mépris souvent dirigé par la peur de la contamination, alors même qu’il fallait à tout prix trouver un remède.
« Les archives familiales ont censuré la fin de sa vie. Tout ce qui se dirait désormais, c’est qu’il est mort un matin d’avril 1987 d’une embolie pulmonaire. »
Le cas particulier de Désiré, l’oncle de l’auteur, permet d’entrer plus en détail dans la détresse et l’intimité d’une famille. Confronté au mutisme de ses proches face à toutes les questions qu’il se posait sur cet oncle officiellement décédé d’une embolie pulmonaire, l’auteur a entrepris ses propres recherches. Il n’y a aucune curiosité malsaine, ni dans le ton ni dans le propos, mais plutôt une honnêteté et une mise en lumière des répercussions vécues par tous les protagonistes. J’ai beaucoup aimé découvrir cette famille, son origine, les caractères qui la composent. Autant d’éléments qui ont joué, j’imagine, sur leur façon d’affronter la situation. Anthony Passeron évoque avec justesse, notamment à travers le personnage de Louise, sa grand-mère, « les sentiments de honte, d’exclusion et d’humiliation qu’elle s’était juré, il y a longtemps, de ne plus jamais revivre ». J’y ai vu énormément de force et de courage, d’autant qu’ils vivent dans un village où tout le monde se connaît, où ils ont acquis une certaine notabilité depuis plusieurs générations, grâce à leur commerce de boucherie.
Au fil des pages, j’ai été accaparée par ce qui se jouait, au point que je me suis investie corps et âme dans ma lecture. Le ton est plutôt détaché et pourtant une émotion immense m’a envahie, et j’ai vécu le dernier quart les yeux embués de larmes, jusqu’à ce passage qui a achevé de me submerger. Comment un livre si court peut susciter des émotions si intenses ?
Vous l’aurez deviné, Les enfants endormis est un coup de cœur, pour toutes les émotions qu’il a suscitées, pour la thématique abordée avec beaucoup de pudeur et de subtilité. J’espère de tout cœur avoir donné envie de découvrir ce livre remarquable, à ceux qui sont réfractaires comme à ceux qui l’ont en attente dans leur PAL ou dans leur liste d’envies.
Mon avis sur la version audio :
La version Audiolib, lue par Loïc Corbery, m’a totalement séduite. Il y a dans le ton du narrateur une certaine langueur, une voix à la sonorité plutôt basse qui colle parfaitement au récit. Une interprétation qui fait ressortir toute la force du sujet, avec en même temps ce côté un peu détaché qu’on retrouve dans le texte d’Anthony Passeron. Le texte et la narration sont en parfaite harmonie, ce qui est admirable selon moi, car il aurait été facile de tomber dans le piège d’une interprétation plus passionnée, étant donné l’intensité du sujet et des émotions qu’il engendre. Une version audio d’une grande justesse !
Voici quelques avis des jurées du Prix Audiolib pour Les enfants endormis : Amandine, Angélique, Anne, Aurore, Azilis, Claudia, Domi, Enna, Julie.
Et comme les mots peuvent sembler parfois bien fades, rien de mieux qu’écouter un extrait pour se faire un avis.
Infos & Quatrième de couverture
Les enfants endormis d’Anthony Passeron
Éditeur : Audiolib – Parution : 05/07/2023 – 4h35min – ISBN: 9791035413712 – Lu par Loïc Corbery.
📕En grand format chez Globe, 2022
📗En poche chez Le Livre de Poche, 2024
Quarante ans après la mort de son oncle Désiré, Anthony Passeron décide d’interroger le passé familial. Évoquant l’ascension sociale de ses grands-parents devenus bouchers pendant les Trente Glorieuses, puis le fossé qui grandit entre eux et la génération de leurs enfants, il croise deux récits : celui de l’apparition du sida dans une famille de l’arrière-pays niçois – la sienne – et celui de la lutte contre la maladie dans les hôpitaux français et américains.
Dans ce roman de filiation, mêlant enquête sociologique et histoire intime, il évoque la solitude des familles à une époque où la méconnaissance du virus était totale, le déni écrasant, et la condition du malade celle d’un paria.
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Merci de nous partager ce coup de cœur. Je ne connaissais pas ce livre et, même si je ne suis pas très friande de biographie, témoignage & co non plus, tu as clairement bien attiré mon attention dessus.
J’en suis ravie Marinette car c’est un livre qui le mérite et si un jour tu décides de te lancer dans cette lecture, je serais contente de lire ton avis
Beaucoup aimé ce premier roman lu dans le cadre du prix du 1e roman des lecteurs des bibliothèque de la ville de Paris….
Tiens je pourrais ressortir mes notes pour publier un petit avis pour le challenge pride month… Merci de me l’avoir remis en tête….
Ravie de te l’avoir remémoré et je serais très contente que tu partages un avis dessus car il mérite vraiment d’être mis en lumière.
Je vais tenter ça !
C’est toujours difficile de trouver les mots pour parler d’un livre qui nous a profondément remuée, marquée, emportée. On aurait envie de trouver d’autres phrases, d’autres termes qui lui rendrait pleinement justice. Et finalement c’est souvent ces livres que l’on a tellement aimé dont on a le plus de mal à en exprimer la raison, je trouve. 😉 Mais tu y arrives très bien Caroline, ne t’inquiète pas !
Difficile sujet que le sida (et maladie incurable en général), mais pour ce fléau en particulier dans les années 80, le récit a dû être poignant. De se retrouver face a la douleur, la solitude, la discrimination… D’autant qu’il s’agit ici d’une histoire vraie, ce qui rend les évènements plus tangibles, tes mots démontrèrent comme tu as été touchée par cette lecture. Je ne sais pas si je la tenterais mais ce qui est sur, c’est que je garderai ce titre en mémoire grâce a tes mots.
Merci pour ton gentil commentaire Ludivine ! 😊 C’est vrai que c’est toujours difficile de parler d’un texte qu’on a beaucoup aimé et qui nous a remué. Je suis déjà comblée si tu te souviens de ce titre et que tu peux le conseiller autour de toi ! ❤️
Avec plaisir Caroline 🙂
Merci Caroline pour ton joli retour. J’ai beaucoup aimé ce récit également.
Merci Julie ! Je ne suis pas étonnée que tu l’aies apprécié aussi, c’est vraiment un texte fort.
J’ai une totale confiance en tes avis et si tu ressens à ce point l’envie d’éveiller notre intérêt sur ce roman riche en émotions, c’est qu’il me faut le lire. Merci pour ton avis qui nous permet de réaliser l’impact que ce roman a eu sur toi.
Merci beaucoup Audrey ! 😊 J’espère que tu auras l’occasion de le découvrir à ton tour !
Merci, c’est gentil 🙂
Merci Caroline pour ce partage. Ton article est touchant et à travers tes mots on ressent bien tes émotions. Même si je ne suis pas du tout fan des autobiographies et autres témoignages, je le note dans mon carnet ☺️.
Merci Céline ! Je te confirme qu’il peut plaire même aux personnes qui comme nous ne sont pas fans des récits autobiographiques. J’espère d’ailleurs que tu tenteras cette lecture et qu’elle saura te toucher autant qu’à moi. 😊
Ton retour est excellent et convaincant : j’ai écouté également ce roman qui m’a énormément touchée, je le conseille sans hésiter.
Merci Lison ! Je suis vraiment ravie de l’avoir découvert, et j’espère que de nombreux autres lecteurs se lanceront dans ce récit. 😊
En te lisant, je me disais que l’on pourrait transposer nombre de réactions et d’attitudes face au sida au cas du récent coronavirus.
Encore qu’il y avait davantage de culpabilisation des sidéens à l’époque, et plus de compassion envers ceux atteints du coronavirus, non que nous ayons évolué, mais en vertu de la manière dont le virus se transmet.
Pourtant seule la souffrance des malades et de leurs proches devrait compter comme tu le soulignes si bien dans ton article.
Merci Caroline.
Merci Hedwige ! Tu sais, je me suis fait la même réflexion que toi au cours de ma lecture, quand j’ai vu les réactions extrêmes, inhumaines parfois, que la peur avait pu engendrer.