Le puits d’Iván Repila
Littérature contemporaine
Date de lecture : 11-13 sept. 2024
Lecture audio → Roman lu par Alexis Victor, Pauline Ziadé, Samuel Charle
J’ai découvert ce roman sur le site de NetGalley, et je dois dire qu’il m’a immédiatement intriguée. Il y avait comme un air de conte dans ce synopsis, ce qui m’a rendu curieuse.
« Parfois, la vie t’impose des conditions telles que la seule échappatoire ne peut être qu’un geste radical, un sacrifice extrême que je suis prêt à accepter. Mais en revanche, je ne pourrais pas supporter de te voir grandir sur une terre en friche comme ce puits : un endroit où l’on meurt sans repos, par la simple inertie des civilisations, un cimetière où l’on fane, comme une fleur impuissante à polliniser les champs. C’est de penser que, toi, tu puisses mourir qui rend mon monde si petit. »
Ce roman nous plonge dans un huis clos au fond d’un puits entouré par une forêt. Deux frères, le Grand et le Petit, s’y trouvent coincés depuis peu. On ne connaît pas leur histoire, qui ils sont, ni comment ils sont tombés dedans, et on va les suivre jour après jour dans leur survie. Mais l’environnement est hostile, l’attente éprouvante, les nuits angoissantes.
Au départ, les deux frères ont bien tenté de sortir de ce piège, en vain. Trop haut ! Alors que les heures défilent, la faim et la soif se font sentir. Mais dans les entrailles de la terre, les mets sont rares, au mieux quelques asticots. Pourtant, on sait qu’ils ont bien un sac de provisions, mais le Grand refuse d’y toucher, exigeant de le ramener intact à leur mère. « Dans le sac, il y a une miche de pain, des tomates séchées, des figues et un morceau de fromage. » Autant dire des richesses inestimables pour qui se trouve dans cette situation.
« N’aie pas peur des rêves, ils ne sont pas réels. Ce sont des pensées qui se mélangent dans nos têtes, des souvenirs qu’on ne peut pas exprimer avec des mots. »
Les jours passent, mais je ne saurais dire combien exactement, tellement le temps semble infini dans cet abîme de ténèbres. Si le roman est sans aucun doute allégorique, j’ai davantage été saisie par l’incroyable force des émotions ressenties. Plus on avance dans l’histoire, plus la lecture devient oppressante. L’estomac est noué par le manque, la faim nous tiraille à nous rendre fou, physiquement fou, comme le Petit. L’esprit se délite alors, les pensées et les phrases deviennent confuses, l’aphasie progresse, perfide. On ne sait plus ce qui tient du rêve ou de la réalité. L’instinct primaire se réveille, animal, bestial. L’enfant a des idées noires, il est en colère, il enrage même, car le Grand mange plus que lui. C’est qu’il tient à le rendre plus fort, pour qu’il puisse un jour sortir, s’envoler là-haut, parmi les vivants, et accomplir sa mission.
« Sache, mon frère, que je suis l’enfant qui a volé le cheval d’Attila : je lui ai pris ses sabots et m’en suis fait des chaussures pour que l’herbe ne repousse plus jamais sous mes pas. Beaucoup d’hommes vils m’ont craint comme les foudres d’un dieu car j’ai asséché leurs terres et leurs semences lors de mes longs voyages à travers le monde. »
J’ai trouvé la fin puissante et émouvante. Elle m’a semblé libératrice, comme si j’avais manqué d’air tout au long de ma lecture sans m’en rendre compte, et qu’elle m’avait permis d’exhaler tout ce que j’avais emmagasiné comme sentiments jusque-là. Une drôle d’expérience, de laquelle je suis ressortie profondément bouleversée.
« Le passé lui revient, mais ni eux ni le puits ne sont désormais les mêmes, pas plus que la distance qui les sépare du monde. »
Le Puits est un roman court mais doté d’une tension indescriptible, d’une force et d’une intensité insoupçonnées ! Je suis loin d’en avoir compris tous les sens cachés, j’aurais besoin d’une deuxième lecture pour cela, mais je crois bien n’avoir jamais lu d’oeuvre similaire.
Mon avis sur la version audio ❤️ :
Je tiens à souligner l’incroyable qualité de cette écoute signée Multisonor. Un livre interprété par trois narrateurs, Alexis Victor (le narrateur), Pauline Ziadé (le Petit) et Samuel Charle (le Grand), qui nous plongent instantanément dans cette histoire. J’ai beaucoup aimé le fait que les dialogues soient lus par les voix des personnages correspondants, tandis que le reste de l’histoire est raconté par un autre narrateur. Cela rend l’écoute encore plus immersive. Et quelles voix, quelles performances ! Pauline Ziadé, notamment, est fabuleuse dans le rôle du Petit. Un livre audio qui m’a subjuguée sur tous les plans (qualité sonore, qualité de l’interprétation, originalité de l’adaptation). Magistral !
Et comme les mots peuvent sembler parfois bien fades, rien de mieux que d’écouter un extrait pour se faire un avis.
Infos & Quatrième de couverture
Le puits d’Iván Repila
Éditeur : Multisonor – Parution : 14/12/2022 – 2h33min – ISBN: 9782958214555 – Lu par Alexis Victor, Pauline Ziadé, Samuel Charle.
Titre original : El niño que robó el caballo de Atila – Traduction : Margot
Également disponible :📕En grand format chez Evergreen, 2014📗En poche chez 10|18, 2016
Dans cette fable sur l’épreuve, deux frères, le Grand et le Petit, sont au fond d’un puits. Rien à boire, rien à manger, seul un sac les accompagne et l’ombre d’une mère. La fraternité se résume à l’essentiel : le Grand protège le Petit, le Petit donne au Grand une raison de vivre. La force vitale de ces deux enfants qui ne veulent pas mourir et s’accrochent au destin traverse le lecteur, marqué à tout jamais par les images et les mots de la hantise.
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Cet article a 6 commentaires
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Ta chronique est magnifique, bravo de parler tellement bien de ce beau roman. Je l’ai aussi lu, mais je ne saurais en parler si brillamment. Bonne semaine
Eh bien, on sent que cette écoute a été intense. Comme le dit Audrey, le fait que l’histoire se déroule dans un endroit aussi restreint doit jouer grandement sur le ressenti et sur les émotions. Je ne connaissais pas du tout, merci pour la découverte Caroline.
Un récit court et intense dans un format qui me convient, je le note, merci Caroline !
Merci Caroline, je vais tenter de le trouver en version audio.
Je l’ai lu et apprécié en version papier mais si la lecture est bonne, la version audio doit être en effet très puissante.
Le lieu de l’action unique et étroit semble apporter une tension forte et véhiculer de forts sentiments renforcés par la situation. Merci pour cette tentante découverte.