Chronique - Le carré des indigents d’Hugues Pagan

Chronique – Le carré des indigents d’Hugues Pagan

Le carré des indigents d’Hugues Pagan

Policier, Polar

LECTURE AUDIO – Roman lu par Cyril Romoli

Date de lecture : 23-25 mars 2023

Le carré des indigents est un roman policier vers lequel je ne me serais pas tournée au premier abord s’il n’avait pas fait partie des titres en lice pour le Prix Audiolib 2023. Seulement voilà, j’ai adoré ce roman, son ambiance et son protagoniste, l’inspecteur Schneider.

“Justement, murmura Schneider. Il faillit ajouter vous seriez étonné de mes scrupules, quelque chose lu quelque part et qui lui allait bien mais cela faisait beaucoup trop de mots à ses yeux et il s’en dispensa.”

L’intrigue se déroule dans les années 70. L’inspecteur principal Schneider vient d’être muté dans une petite ville de l’est de la France, au sein du “Bunker” dirigé par “Dieu”. Alors qu’il prend ses quartiers en tant que chef du Groupe criminel, un homme vient signaler la disparition de sa fille Betty, quinze ans. Devant la certitude de ce père qui pense que sa fille est morte, Schneider décide de prendre l’affaire en main.

Contrairement à tous ces livres policiers qui suivent toujours le même schéma, Hugues Pagan nous emmène plus loin dans son récit. L’enquête principale de ce roman n’en est pas forcément le coeur. Elle est une partie d’un tout, d’une histoire qui évoque plusieurs sujets, donnant à cette oeuvre une dimension plus sociétale, digne d’un roman noir. Un réalisme renforcé par le contexte historique de l’époque, avec la peur encore très présente du communisme et la guerre d’Algérie qui a laissé des séquelles irréversibles.

J’ai beaucoup apprécié le personnage de Schneider, un type plutôt taiseux, à l’attitude très neutre, presque froide, qui attise la curiosité. Quelques pages suffisent pourtant à détecter la carapace, la sensibilité sous le masque de fer. Un flic comme je les aime, au passé chargé, aux convictions fortes, doté d’un sens moral à l’épreuve des balles. Un flic en qui on aimerait croire, ne serait-ce que pour redorer un peu l’image de la police, qui en aurait bien besoin parfois. J’ai apprécié sons sens de la justice, sa façon d’interroger les témoins, de voir les opprimés et les invisibles, d’accompagner les douleurs, sans paroles superflues ni hypocrisie. Chez lui, pas de réactions enflammées, mais un culte du détachement. “Poker face”, comme diraient les autres. Bien entendu, il y a quelquefois des signes annonciateurs de montée en pression, comme les doigts qui remuent doucement, la “crispation des omoplates, le léger tassement des épaules”, mais généralement étouffés dans l’oeuf grâce à des équipiers prévoyants.

Un roman qui raconte aussi les coulisses de la police, les rivalités, les hiérarchies corrompues, les comportements déplacés mais aussi les braves gens, investis corps et âme dans leur mission. D’ailleurs, certains s’intéressent à ceux d’en bas, de la prostituée au sdf, allant même jusqu’à s’inquiéter si l’un d’eux vient à manquer à l’appel. Pour eux, ces laissés-pour-compte ont un (sur)nom, un visage, une personnalité. Forcément, cette humanité nous touche de plein fouet, on s’émeut de leur sort, ce ne sont pas de lointaines figures abstraites mais bien des protagonistes à part entière. Le titre du roman prend alors tout son sens.

Par ailleurs, j’ai été touchée par cette façon d’aborder “l’après”. Ici, l’histoire ne s’arrête pas à la résolution de l’enquête, il y a tout le reste, jusqu’à la victime qui reste en tête, la peine et la tristesse de la famille qui laissent leur empreinte. J’imagine que les enquêteurs ne peuvent pas toujours passer à autre chose si facilement. Il arrive que la photo reste épinglée sur le tableau d’affichage un peu plus longtemps, histoire de ne pas oublier.

“Dans la pénombre, le Bunker revêtait des atours maléfiques. On devinait bien qu’il s’agissait du dernier rempart, abrupt et solitaire, contre le désordre et la colère à venir, qu’il était avant tout destiné à faire peur, à contenir ceux que l’on craignait presque autant que les Rouges : les pauvres.

Et puis il y a le décor et l’ambiance. “Un commissariat-bunker qui ressemble à un tribunal de commerce délabré où échouent toutes les faillites de la société”, une atmosphère sombre, la fumée des cigarettes, les silences, la mélancolie, un piano qui joue un air de blues. Un roman dans un pur style polar noir, qui m’a définitivement conquise. Je m’attendais presque à entendre une voix-off, à l’instar de ces films de détectives des années 60-70.

Avec Le carré des indigents, nous ne sommes pas dans un rythme haletant, dans une enquête sous tension menée tambour battant, pourtant, j’ai été captivée jusqu’à la dernière minute. Je n’avais aucune envie de terminer ma lecture. Je voulais rester dans cette ambiance, continuer à suivre ces flics dans le quotidien de leur profession, m’immerger encore dans les pensées de Schneider.

J’ai frôlé le coup de coeur pour ce polar noir et profond, qui m’a totalement séduite. Cette incursion dans le style d’Hugues Pagan a été une réussite, aussi j’ai désormais l’envie irrépressible de partir à l’assaut de toute sa bibliographie.

Mon avis sur la version audio :

Dans la version Audiolib, le comédien Cyril Romoli donne le ton. Alors que j’étais déjà tombée sous le charme de sa voix dans Entre fauves de Colin Neil, il m’a de nouveau subjuguée par son interprétation. Il excelle particulièrement dans le rôle de Schneider, révélant tout le charisme et la sincérité de ce personnage complexe. Son timbre se prête parfaitement à l’ambiance de ce polar noir. J’ai également été très sensible aux interludes musicaux entre les différents chapitres. Une version audio vraiment très réussie !

Roman lu dans le cadre du Prix Audiolib 2023.

Et comme les mots peuvent sembler parfois bien fades, rien de mieux qu’écouter un extrait pour se faire un avis.


Infos et Quatrième de couverture

Le carré des indigents (Inspecteur Schneider, tome 4) d’Hugues Pagan
Édition audio : Audiolib – Parution : 15/03/2023 – Durée : 13h22 – ISBN/ASIN: 9791035411213 – Lu par : Cyril Romoli – Genre : Policier.

“Novembre 1973. L’inspecteur principal Claude Schneider revient dans la ville de sa jeunesse après un passage par l’armée et la guerre d’Algérie dont il ne s’est pas remis. Il aurait pu rester à Paris et y faire carrière, mais il a préféré revenir « chez lui ». Nommé patron du Groupe criminel, il ne tarde pas à être confronté à une douloureuse affaire : Betty, la fille d’un modeste cheminot, n’est pas rentrée alors que la nuit est tombée depuis longtemps. Son père est convaincu qu’elle est morte. Schneider aussi. Schneider est flic, et pourtant, il n’arrive toujours pas à accepter la mort. Surtout celle d’une adolescente de quinze ans au petit visage de chaton ébouriffé. Faire la lumière sur cette affaire ne l’empêchera pas de demeurer au pays des ombres…”


L’avis des autres membres du Jury Audiolib

Parce que nous n’avons pas toujours les mêmes ressentis ou la même façon de parler d’un livre, voici quelques avis de mes collègues jurées.

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Cet article a 14 commentaires

  1. Je ne me serais pas non plus tournée de moi-même vers ce film alors qu’il a l’air de mêler avec brio réalisme social, enquête et humain. Et le fait de voir l’après est un gros plus, ce point étant toujours occulté ou abordée en quelques lignes.

    1. Caroline

      On fait parfois de belles découvertes là où on ne s’y attend pas. 😊

  2. Céline

    Merci pour cette belle chronique ! un policier qui change de l’ordinaire et qui pourrait bien me plaire.

  3. Ce roman a l’air intéressant rien que pour le côté climat social de l’époque et les coulisses du système policier. Et l’enquêteur a l’air de t’avoir plu par son attitude et ses convictions. Ça me fait une nouvelle idée lecture, je le note. Merci pour ton retour enthousiaste Caroline. 🙂

    1. Caroline

      Merci Ludivine. Depuis quelques temps, je ne suis plus vraiment friande des romans policiers, mais dans celui-ci, je retrouve ce qui me plaît dans mes sagas favorites. Ce ne sont pas des personnages qui ont été créés dans le seul but de servir une intrigue. Je trouve que c’est plus profond, un peu plus authentique.

  4. Hedwige

    Je suis comme maître Renard « par l’odeur alléché. Merci pour cette belle tentation, Caroline 🙂

    1. Caroline

      Avec plaisir Hedwige ! Cela faisait bien longtemps que je n’étais pas tombée sous le charme d’un flic et d’un roman policier tout court. Je le disais précédemment à Marinette, Schneider présente quelques similitudes avec Wallander d’Henning Mankell, je trouve. Et pour ma part, j’adore Wallander !

  5. Un presque coup de cœur que tu donnes très envie de découvrir ! Surtout pour ta description de l’inspecteur principal Schneider.

    1. Caroline

      Il m’en faut beaucoup pour apprécier le personnage principal d’un roman policier, mais j’avoue que celui-ci a rejoint ma bande de favoris, Adamsberg, Wallander (avec lequel il partage quelques similitudes je trouve) et Longmire. Il a ce côté très charismatique que j’adore et puis, il est économe de mots, et ça, ça me plait. 😁

    1. Caroline

      Ah chouette ! J’espère que tu apprécieras ton écoute Aude.

  6. loeilnoir

    Je trouve que la voix de Cyril Romoli est magnétique et doit parfaitement convenir pour ce type de personnage. Ce que tu dis de ce livre me tente bien, notamment par les multiples sujets évoqués. Je note!

    1. Caroline

      J’espère que tu oseras le tenter en audio. En tout cas, si tu apprécies les polars, voire les romans noirs, tu seras peut-être, comme moi, emportée par l’histoire.

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