En quelques lignes – Le p’tit avis du mercredi
Corniche Kennedy de Maylis De Kerangal
Contemporain
Date de lecture : 16-17 janv. 2025
Je suis sous le charme de l’écriture de Maylis de Kerangal, depuis que je l’ai découverte avec son dernier roman, Jour de ressac. Corniche Kennedy m’a emportée de la même façon. L’autrice a l’art de se fondre dans ses protagonistes et de restituer les ambiances. En fond sonore et visuel, cette atmosphère si particulière à la période estivale ; les conversations, les cris joyeux, les bousculades et les interjections, la mer qui bruisse. De la mélancolie aussi, à moins que cela ne soit dû qu’à moi, à mes propres souvenirs.
« On sait qu’ils vont venir quand le printemps est mûr, tendu, juin donc, juin cru et aérien, pas encore les vacances mais le collège qui s’efface, progressivement surexposé à la lumière, et l’après-midi qui dure, dure, qui mange le soir, propulse tout droit au cœur de la nuit noire. »
Il y a ces ados qui se retrouvent tous les jours à la plage, bruyants, insouciants, seuls au monde. Ils se baignent, flirtent, friment, se lancent des défis comme sauter du haut du troisième plongeoir, le Face-to-Face, le plus dangereux d’entre tous, mortel. Des ados un peu livrés à eux-mêmes, issus des quartiers pauvres de la ville.
Mais, de loin, il y a ce flic qui veille, Sylvestre Opéra. Il les observe d’un oeil, ou de ses jumelles, c’est selon, tout accaparé qu’il est par d’autres affaires. Pourtant, on a l’impression qu’il est le seul à se soucier vraiment de cette jeunesse, de ses conneries, de son inconscience. Alors, quand vient l’heure du Face-to-Face, il doit mettre le holà. Et c’est le bras de fer, la police contre la jeunesse, l’opinion publique qui s’en mêle et chacun qui veut garder la face.
« Parfois il fait durer l’observation et gagne la terrasse, autre plate-forme au beau milieu de quoi se dresse, stabilisée sur trépied, une paire de jumelles Zeiss, cale ses globes dans les manchons de caoutchouc, et s’emploie à désosser le groupe. Il en dissocie un à un chaque membre comme l’enfant torture la mouche prisonnière, l’isole du noyau, et le regarde longuement pour lui-même. Si bien qu’il les connaît à la longue, ces mômes, a repéré les pactes, les idylles, les ruptures, les renversements d’alliances. Et soudain, terminé, il leur tourne le dos, retourne à son bureau, il a mille choses à faire. »
J’ai trouvé ce roman très beau, et je pense que la prose de l’autrice y est pour beaucoup. Mais surtout, j’ai été touchée par Sylvestre, cet homme bon mais fatigué, usé. Par ces jeunes aussi, avec qui la vie n’est pas toujours tendre et qui font comme ils peuvent avec les cartes qu’ils ont en main. Bref, j’adore Maylis de Kerangal ! Elle est une des rares écrivaines dont j’ai envie de lire tous les livres, envie de m’abreuver encore et encore à cette sublime écriture.
Infos & Quatrième de couverture
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Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal
Éditeur : Folio – Parution : 16/04/2010 – 192 pages – ISBN: 9782070416998.
Également disponible : 📕 En grand format chez Verticlaes, 2008 .
« Les petits cons de la corniche. La bande. On ne sait les nommer autrement. Leur corps est incisif, leur âge dilaté entre treize en dix-sept, et c’est un seul et même âge, celui de la conquête : on détourne la joue du baiser maternel, on crache dans la soupe, on déserte la maison. » Le temps d’un été, quelques adolescents désoeuvrés défient les lois de la gravitation en plongeant le long de la corniche Kennedy. Derrière ses jumelles, un commissaire, chargé de la surveillance de cette zone du littoral, les observe. Entre tolérance zéro et goût de l’interdit, les choses vont s’envenimer… Âpre et sensuelle, la magie de ce roman ne tient qu’à un fil, le fil d’une écriture sans temps morts, cristallisant tous les vertiges.
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L’autrice semble raconter la vie telle qu’elle est. Je ne sais pas si je suis très claire mais en te lisant, j’ai eu ce sentiment de comportements croqués comme ils sont…
C’est exactement ça Audrey ! C’est ce que je ressens à chacun de ses livres. Tu as vraiment l’impression d’observer des vies, parfois seconde par seconde. J’adore !
Il y a de la poésie dans tes mots Caroline, quand tu parles de mélancolie. On sent que cette lecture t’a entraînée dans son ambiance estivale. Tu nous offres un peu de douceur en hiver, merci pour cette belle chronique 🙂
Merci Ludivine. Un roman court, réaliste, qui m’a accaparée. Je ne sais pas quelle sera ma prochaine découverte de l’autrice, mais je suis sûre que ça me plaira autant !
Je te le souhaite 🙂
Je dois découvrir cette autrice avec son roman Réparer les vivants que j’ai dans ma PAL, à lire ton enthousiasme je devrais aimer son style…
En tout cas, c’est une écriture qui fonctionne super sur moi. Je trouve que t’as vraiment l’impression d’être dans la tête des personnages, avec les pensées qui se succèdent, comme dans la vraie vie.
Maylis de Kerangal, je ne l’ai encore jamais lu mais tu suscites ma curiosité. Je la connais juste de nom. Merci pour ce joli retour sur ce roman 🙂
Elle a un style particulier, qui me botte énormément !
Je n’apprécie pas du tout le style de cette auteure, mais tu me donnes presque envie de lui redonner une chance. Bonne journée
Je comprends, c’est sûr qu’il faut apprécier. Pour ma part, je trouve que ça permet de coller au plus près des pensées des protagonistes.
J’aime ton bel enthousiasme pour cette auteure ainsi que ton regard sur cette jeunesse en mal de reconnaissance. Merci pour la découverte de ce roman.