Arpenter la nuit de Leila Mottley
Contemporain
Date de lecture : 5-6 avril 2024
Lecture audio → Roman lu par Amélia Ewu – Roman lu dans le cadre du Prix Audiolib 2024.
L’histoire se déroule à East Oakland en Californie, où Kiara, la narratrice de 17 ans, vit seule avec son frère Marcus. Pour faire face à la hausse du loyer et éviter l’expulsion, la jeune fille se retrouve malgré elle à vendre son corps pour de l’argent, arpentant la nuit et ses dangers.
Derrière ce titre poétique d’Arpenter la nuit se cache toute la noirceur d’un monde où les plus vulnérables doivent lutter sans merci pour survivre. Dans cette partie populaire de la ville d’Oakland, les routes sont envahies de nids-de-poule, les graffitis recouvrent les murs et le travail ne court pas les rues. L’immeuble Regal-Hi dans lequel vit la famille de Kiara depuis près de vingt ans, est un reflet de la pauvreté qui y règne. Ce qui n’empêche pas Vernon, le propriétaire, d’augmenter sans vergogne les loyers de ses résidents. Trouver du travail n’est plus seulement une priorité, c’est devenu une question de survie.
« Il est allongé là et il dort alors qu’autour de nous l’appartement se casse la gueule. On réussit à peine à joindre les deux bouts, on a déjà deux loyers de retard, et Marcus qui ne gagne pas un rond. Au magasin d’alcool je les supplie de me donner des heures et je compte les crackers qu’il nous reste dans le placard. »
Malheureusement, Kiara est mineure, sans diplôme et sans expérience, ce qui ne lui facilite pas la tâche. Elle sillonne chaque jour les rues, frappant à chaque porte de chaque magasin, mais la seule chose qu’elle obtient, ce sont des refus. Quand cela devient trop difficile, elle se rend avec son amie Alé dans la chambre funéraire du coin les jours d’enterrement, pour dérober ce qu’elle peut de nourriture et de vêtements. Son grand frère ne lui est pas d’un grand secours, il a balayé la réalité d’un revers de main, préférant se bercer d’illusions en imaginant devenir un jour un rappeur célèbre, comme son Oncle Ty. Il passe ses journées à enregistrer des chansons pour son disque, laissant à sa sœur tout le poids des responsabilités quotidiennes. Un soir, suite à un quiproquo que la jeune fille a manqué d’éclaircir, son existence va basculer.
« Ces derniers temps, le seul moyen que j’ai pour tenir le coup toute une nuit avec ces hommes, c’est d’ingurgiter des shots d’alcool et d’essayer de me noyer dans le vertige, histoire de ne pas voir ce qu’ils font, histoire que mon corps ne puisse pas comprendre ce qui se passe, du moins pas assez pour en avoir peur. »
J’ai ressenti énormément de sympathie et d’admiration pour le personnage de Kiara. J’ai été saisie par son incroyable maturité, et touchée par sa situation, qui la rend malheureusement vulnérable à bien des abus. Car Kiara n’avait jamais envisagé de se prostituer. Elle a simplement fait un choix, à un moment donné, sans en mesurer immédiatement les conséquences. « C’est rien qu’un corps. » Une décision qui va changer son destin à jamais, la conduisant à être exploitée sexuellement, sans « aucune issue de secours ».
Alors que son monde s’effondre, Kiara ne ploie pas, elle tente de garder la tête hors de l’eau, elle qui ne sait pas nager. En partie grâce à la présence de Trevor, son petit voisin de neuf ans, que la mère toxicomane laisse trop souvent livré à lui-même. Pour lui, Kiara est davantage une mère qu’une grande sœur, et la relation entre ces deux êtres est bouleversante d’amour. Les personnages secondaires de ce récit sont tous éminemment touchants, malgré leur choix ou leurs actes souvent malheureux. Des destins égarés, des âmes abîmées, d’une authenticité frappante.
Arpenter la nuit est un roman que j’ai trouvé superbe. Même quand la noirceur semble tout envahir, que l’horreur nous oppresse, l’écriture de Leila Mottley fait jaillir la lumière. Alors, les rues ne sont plus seulement miséreuses, elles bourdonnent de vie, les graffitis sont en réalité des œuvres d’art qui libèrent la parole, les terrains de basket des lieux de cohésion, et les gâteaux ont la forme d‘un cœur. Un roman d’une grande force, porté par une héroïne remarquable qui restera dans ma mémoire.
Mon avis sur la version audio :
Dans la version Audiolib, c’est la comédienne Amélia Ewu qui donne vie à ce récit, interprétant magistralement le rôle de Kiara. À elle seule, la narratrice réussit sans peine à communiquer la puissance des mots, la violence des actes et même les sourires. Elle incarne chacun des personnages secondaires avec la même chaleur, la même justesse. J’ai pris beaucoup de plaisir à écouter cette histoire, pour laquelle j’ai d’ailleurs frôlé le coup de cœur.
Voici quelques avis des jurées du Prix Audiolib pour Arpenter la nuit : Callie, Aurore, Enna.
Et comme les mots peuvent sembler parfois bien fades, rien de mieux qu’écouter un extrait pour se faire un avis.
Infos & Quatrième de couverture
Arpenter la nuit de Leila Mottley
Éditeur : Audiolib – Parution : 24/01/2024 – 9h49min – ISBN: 9791035412616 – Lu par Amélia Ewu – Titre original : Nightcrawling
📕En grand format chez Albin Michel, 2022
📗En poche chez Le Livre de Poche, 2024
En Californie, une adolescente noire est décidée à survivre, coûte que coûte, dans un monde qui se refuse à la protéger. Un premier roman coup de poing.
Kiara, dix-sept ans, et son frère aîné Marcus vivotent dans un immeuble d’East Oakland. Livrés à eux-mêmes, ils ont vu leur famille fracturée par la mort et la prison. Si Marcus rêve de faire carrière dans le rap, sa sœur se démène pour trouver du travail et payer le loyer. Mais les dettes s’accumulent et l’expulsion approche.
Un soir, ce qui commence comme un malentendu avec un inconnu devient aux yeux de Kiara le seul moyen de s’en sortir. Elle décide de vendre son corps, d’arpenter la nuit. Rien ne l’a préparée à la violence de cet univers, et surtout pas la banale arrestation qui va la précipiter dans un enfer qu’elle n’aurait jamais imaginé.
Un roman à la beauté brute, porté par la langue à fleur de peau de Leila Mottley.
Recommandations de lecture
Quand je pense à cette héroïne qui tente de s’en sortir, je pense également au roman d’Angie Thomas, La haine qu’on donne, que j’avais beaucoup aimé. Je vous conseille sans hésiter la version audio Lizzie, lu par Aloïse Sauvage.
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Je l’avais repéré lors de sa sortie et tu me le remets en tête. Il me tente toujours énormément !
Oh vraiment, je te le conseille ! Je trouve que c’est une lecture à faire.
Que voilà un bel avis.
Merci Caro
Merci, c’est un avis hommage à Kiara, une héroïne fabuleuse. 😊
Il a l’air superbe. Je l’ai pas mal vu passer. J’ai peut-être un peu peur que le rythme soit trop lent pour moi…
Je n’ai pas eu de problèmes avec le rythme, car j’étais totalement prise dans l’histoire. Mais peut-être que c’est le cas dans les premières pages, le temps que l’autrice présente le contexte et les personnages. Cela étant, il se passe beaucoup de choses et les personnages sont attachants. Il fait partie de mes meilleures lectures de ce début d’année. 😊
Ah, c’est un argument important, ca !
Tu en parles magnifiquement ! J’ai lu ce roman et il m’a bouleversé, marqué durablement pour toutes les raisons que tu exprimes. Merci Caroline !
Merci Frédéric ! Il est certain que je me souviendrais longtemps de cette jeune fille extraordinaire !
Merci pour ton avis tout en sensibilité sur ce roman dont l’héroïne semble t’avoir marquée.
Merci Audrey, Kiara est vraiment une héroïne qui reste en tête ! ❤️
Rien que les citations que tu nous partages nous dévoilent toute la dureté du monde dans lequel vie Kiara, toute la misère qu’elle côtoie et tous les sacrifices qu’elle doit faire. Sans avoir lu le roman, grâce à ta chronique, je te rejoins, j’ai déjà beaucoup de respect et de sympathie pour cette jeune femme aussi. Merci pour ce beau partage, tu m’as fait envie !
J’aime tellement ton commentaire Ludivine, tu as saisi tout ce que j’ai ressenti lors de cette lecture ! Quant aux citations, j’en aurais mis des tonnes, parce que c’est le genre de romans marqué par des passages forts, qui en disent long sur l’histoire de Kiara et la plume de l’autrice.
Oh merci, c’est surtout que tu as trouvé les mots juste pour faire passer toute l’intensité de ce roman. 🙂 J’imagine sans mal oui, toutes ces phrases percutantes que tu as du croisé au fil des pages, merci d’en avoir partagé quelques une avec nous !
Un roman que j’avais repéré dès sa sortie. Merci pour cette belle critique très complète. 🤩
Je l’avais repéré aussi, et puis, comme d’habitude, il s’est retrouvé noyé sous les nouveaux venus de ma wishlist. 😁 C’est une chance qu’il fasse partie de la sélection du Prix Audiolib, sinon, j’en aurais encore repoussé la lecture et j’aurais manqué découvrir une belle héroïne.
Il est dans ma pal, mais je n’arrive plus à suivre. Bonne journée
Comme je te comprends ! 😁
Difficile, non impossible de résister à une chroniqua aussi bouleversante. Merci Caroline j’adore te lire 😍
Merci Hedwige, ça me touche beaucoup ! J’ai enchainé deux fortes lectures pour le Prix, avec deux héroïnes tellement émouvantes. Kiara est toujours avec moi, pratiquement une semaine après la fin de ma lecture.
Le résumé m’avait beaucoup intriguée, j’aimerais le lire !
Alors il ne faut pas hésiter, si tu as le temps de le caser dans tes prochaines lectures. C’est un roman fort et quand on sait que l’autrice n’avait que 17 ans qu’elle l’a écrit, on est ébloui.
Je l’ai acheté la semaine dernière et ma tarde de le lire ! Merci pour ton retour !
Un roman superbe !