Les voleurs d’innocence de Sarai Walker
Historique, Drame
Date de lecture : 6-12 oct. 2023
J’avais été irrésistiblement attirée par ce roman, peu avant sa sortie en août dernier. Il faut dire que la quatrième avait de quoi m’intriguer. Quelle était donc cette malédiction qui emportait les filles Chapel les unes après les autres ? Malgré quelques petites longueurs, cette histoire m’a séduite et j’en garde un très bon souvenir de lecture. Je ne peux qu’introduire ma chronique avec la comptine citée dans le premier chapitre, car elle résume bien la tragédie qui toucha les filles Chapel.
Les sœurs Chapel :
Sarai Walker, Les voleurs d’innocence
D’abord elles sont mariées
Puis elles sont enterrées
Nous sommes dans les années 1950, aux États-Unis, et nous allons faire connaissance avec les filles Chapel, six sœurs aux prénoms de fleurs. Par une belle journée d’été, alors que les demoiselles s’amusent avec insouciance sur la plage, deux jeunes hommes vont émerger des flots. Un évènement anodin qui va pourtant changer la vie d’Aster, l’aînée des six sœurs. Iris, la cadette, va nous conter leur triste sort. Grâce à son récit, nous allons découvrir l’histoire des femmes de cette famille, celle des sœurs et de leur mère, Belinda, mais aussi celle de sa mère encore avant elle.
Chapel, c’est d’abord l’illustre nom d’un des plus grands fabricants d’armes des États-Unis. Une entreprise prospère, qui leur confère une position sociale respectable, et une grande demeure qui « semblait sortie tout droit d’un conte de fées », le « gâteau de mariage ». Une bien jolie maison, parfaite pour rêver au prince charmant.
Mais le nom de Chapel est aussi un poids lourd qui pèse sur les épaules de Belinda, qui ne peut souffrir d’être associée, même indirectement, à tant de morts et de barbarie. Des morts qui reviennent la hanter, nuit après nuit, jour après jour, jusqu’à la folie. Cette femme m’a énormément touchée, car elle semble vivre perpétuellement dans un autre monde, l’œil hagard, habituée à ne plus être considérée par les membres de sa famille. Elle est l’épine dans le pied, l’ombre au tableau de ce beau « gâteau de mariage », celle qu’on aimerait à tout prix éviter de présenter aux invités. Surtout quand, pétrie d’angoisse, elle avertit Aster du danger imminent qui la guette si elle persiste à vouloir se marier. Seule Iris prête une oreille attentive à sa mère, compréhensive car porteuse elle aussi, parfois, des mêmes étranges visions.
« Petite, je savais que quelque chose n’allait pas chez ma mère, sans savoir vraiment quoi. Je supposais que les autres mères ne se réveillaient pas comme elle en hurlant au milieu de la nuit, affirmant avoir vu ou entendu un fantôme. J’imaginais qu’elles ne passaient pas la matinée à relater leurs rencontres spectrales dans un journal. Elle écrivait dans un carnet pareil à celui dans lequel j’écris actuellement, parce que sa famille ne croyait pas à ses histoires. »
Rapidement, la légèreté des premières pages laisse place à une ambiance plus angoissante et lugubre. Les rires, qui résonnaient autrefois si chaleureusement dans l’aile des filles, s’estompent jusqu’à disparaître. Chaque drame les éloigne un peu plus les unes des autres, et le « gâteau de mariage » n’est plus qu’une vaste demeure silencieuse et oppressante, où les filles Chapel sont réduites à des épitaphes sur des pierres tombales.
Comment ne pas être touchée par le destin tragique de ces jeunes femmes, dont on ne peut qu’observer, impuissants, la chute inévitable ? De quoi sont-elles mortes exactement ? Quelle malédiction s’est invitée à leur naissance ? La mort d’Aster, la première que nous devons affronter, est particulièrement choquante, troublante, incompréhensible. Une mort qui laisse les hommes perplexes, aussi la conclusion officielle du médecin paraît si hypocrite qu’elle en devient presque risible. Comment, dès lors, ne pas songer au titre du roman, si évocateur ? À ces hommes voleurs d’innocence, qui rappellent l’existence et la condition de tant de femmes à travers le monde. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, je pense, même si le sujet est abordé sous un aspect plus métaphorique. Car dans ce monde, en cette époque, tu nais fille, tu deviens épouse puis mère et tu ne seras jamais rien d’autre que cela. Tu ne seras pas botaniste, tu ne seras pas une femme libre ni indépendante, tu seras une épouse ou une vieille fille pointée du doigt.
« Nous jouâmes à des jeux – aux petits chevaux, au Cluedo et à la Vieille fille. Mes sœurs et moi avions toujours adoré jouer à la Vieille fille et notre jeu de cartes était très abîmé. Celle qui restait coincée avec la vieille fille à la fin de la partie poussait systématiquement un petit cri d’horreur théâtral. Mais ce samedi-là, lorsque Zelie et moi jouâmes seules et que je me retrouvai avec la vieille fille, j’étudiai son visage supposé hideux, son double menton et sa peau marbrée, ses yeux globuleux derrière ses verres épais, ses dents en avant. Elle était censée être effrayante ; elle était destinée à faire peur aux petites filles. Mais étant donné ce qui était arrivé à Aster et Rosalind, peut-être que c’était la vieille fille, la chanceuse. »
Un roman à l’atmosphère mystérieuse, avec une petite pointe de fantastique, qui m’a envoûtée. Si j’ai trouvé quelques longueurs, j’ai toutefois beaucoup aimé ce récit qui parle de femmes et de sororité. Ce n’est pas spécialement un sujet que je recherche dans mes lectures, pourtant, j’ai vraiment apprécié la façon dont il est traité par l’autrice. Un propos soigneusement amené, à travers une histoire originale et passionnante.
Infos et Quatrième de couverture
Les voleurs d’innocence de Sarai Walker
Éditeur : Gallmeister – Parution : 24/08/2023 – 624 pages – ISBN: 9782351782873 – Genre : Historique, Drame.
Titre original : The Cherry Robbers
Il était une fois dans les années 1950 six jeunes filles aux doux prénoms de fleurs – Aster, Rosalind, Calla, Daphne, Iris et Hazel – qui vivaient avec leurs parents dans l’opulence d’une grande bâtisse victorienne. Mais ceci n’est pas un conte de fée : c’est l’histoire de la malédiction des sœurs Chapel. Tout commence pourtant bien : par une noce. Mais à peine est-elle mariée, que la sœur aînée meurt mystérieusement, laissant sa famille en état de choc. Puis la deuxième connaît le même sort. Quel malheur pèse sur les Chapel ? Belinda, la mère à l’esprit torturé, hantée par les fantômes, semble pouvoir prédire leur funeste destin. Mais peut-on se fier à ce qui sort de son cerveau embrumé ? Quant à Iris, la cadette, elle est bien décidée à survivre. Quitte à devoir faire un bien sombre choix.
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Hello! Je suis plongée dans ce livre. Je suis pour le moment mitigée. Je ne sais pas pourquoi ça manque de quelquechose et là ça ne décolle pas. J’ai l’impression que l’auteure tourne en rond avec la thématique du patriarcat fléau de notre société. J’en ai un peu marre de lire la dessus. On dirait un sujet éculé.
Je peux comprendre ton ressenti, c’est vrai que c’est un sujet que l’on retrouve de plus en plus souvent dans les lectures actuelles. Même si dans Les voleurs d’innocence il est amené de manière un peu plus imagée et poétique.
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Roh tu me parles que de douceurs pour mes oreilles 👂. Je note quelques longueurs de quoi baisser un peu mes attentes.
Oui c’est que j’en ai trouvé quelques-unes, cela dit, c’est bien passé car j’ai adoré l’histoire et l’ambiance surtout.
Hahah j’en doute pas c’est plus pour me raisonner sur l’achat compulsif et ne pas mettre trop la barre de mes attentes 🙂
J’aime beaucoup ce titre et cette couverture. Un titre évocateur c’est vrai et qui prédit une lecture forte, mais ta chronique laisse entrevoir toute la puissance de ce message sur la condition féminine, surtout dans ces décennies. Rien que tes mots sur le décès de Aster me font mal au cœur. Mais tu m’as donné envie d’en savoir plus, alors je le note. Merci beaucoup pour cette découverte.
Avec plaisir Ludivine ! 😊 C’est vrai que le titre et la couverture sont magnifiques, comme toujours chez Gallmeister.
Oui c’est vrai, on reconnait bien leur patte sur les couvertures, elles ont quelque chose de très doux et colorées à la fois 🙂
Merci pour ta chronique magistrale, Caroline ! Ce qui me dérange dans ce roman que je n’ai pas lu, c’est que la condition des femmes toujours victimes de tant de violences et de meurtres soit vue comme une malédiction.
Si cela agrémente et soutient l’histoire, le terme même est quand même machiste, à moins que je n’aie rien compris ou que ce ne soit pas du tout l’idée dans ce roman.
Disons qu’ici, les hommes, comme les femmes, ignorent la cause de ces morts. Les hommes sont considérés par la société comme le seul avenir possible de la femme. La femme leur appartient, en quelque sorte, et ils peuvent décider de leur sort (mariage, enfants, internement etc.). Je les ai trouvé « passifs ». La malédiction vient du fait que le sort semble s’acharner sur les femmes de cette famille. Alors, forcément, on songe que les pauvres sont un peu maudites. Mais bon, c’est une lecture métaphorique, tant dans cette malédiction que dans les œuvres artistiques de Sylvia et la symbolique des fleurs.
Ta chronique donne très envie de découvrir le destin tragique de ces soeurs d’autant que j’aime beaucoup les histoires de sonorité. La touche de fantastique apporte un côté mystérieux très attirant et intrigant.
Je pense que c’est une lecture qui pourrait te plaire Audrey. Certains qualifient ce roman de gothique et il est vrai que son atmosphère mystérieuse et la grande demeure lui en confèrent certaines qualités.
Et comme j’adore les ambiances gothiques…