Chronique – La nuit des femmes de Sandrine Biyi

La nuit des femmes de Sandrine Biyi

Historique

Date de lecture : 9-11 fév. 2025

De Sandrine Biyi, j’avais déjà lu « La Dame de la Sauve », un roman que j’avais passionnément aimé.

« La puissance des mots est infinie. Tout dépend de la force de ta conviction et de ce que tu visualises. »

La nuit des femmes, c’est l’histoire de quatre soeurs, Anne, Justine, Isabel et Claire, élevées par leur oncle Bertran, seigneur de Hautefort. Alors que les filles jouissent d’une liberté plutôt exceptionnelle en ce XIIe siècle, le mariage de l’aînée avec l’anglais Arnaud de Carlisle va semer le trouble dans leur existence. 

L’histoire se déroule dans l’Aquitaine d’Aliénor, dans le Périgord plus précisément. Une époque marquée par les guerres, à commencer par celle qui oppose Bertran à son frère Constantin, tous deux ayant décidé de prêter allégeance à un roi différent. Le contexte historique est d’ailleurs habilement rendu et particulièrement intéressant.

On peut dire qu’il y a plusieurs parties dans ce roman. La première, un peu plus légère, campe le décor et reflète les derniers moments d’insouciance. On y découvre les personnages, la vie au sein du château, les relations entre les uns et les autres. Ainsi, les filles sont le fruit de l’union entre Ithier de Born, le plus jeune frère de Bertran, et d’Imberge, la cuisinière du château. Leur père s’étant par la suite retiré dans l’abbaye voisine, leur oncle a pris en charge leur éducation, au grand désespoir de son épouse Raimonda, qui ne cache pas la haine que ces “bâtardes” lui inspirent. 

En quelques lignes, l’autrice dresse avec subtilité le portrait de ses protagonistes. Justine m’a plu d’emblée. Elle ne pense qu’à courir à travers bois et à retrouver Elvire, la vieille sorcière, dans sa cabane. « La forêt l’appelait tous les jours et une force obscure la poussait à s’enfuir en cachette, vers l’étang à l’eau sombre, où ne se reflétait jamais le soleil. » Elle a cette fougue, cette intelligence et cette franchise qui la rendent tellement sympathique. On comprend dès lors qu’elle soit la préférée de son oncle, et que cette situation puisse donner lieu à quelques rivalités avec sa soeur Anne. Anne, l’aînée, la plus distinguée, celle qui s’évertue à s’élever plus haut que son statut de bâtarde. Celle que son oncle s’apprête à marier le soir même, avec un anglais du nom d’Arnaud de Carlisle. Un soir où tout va changer, où les destinées de chacune vont se trouver bouleversées. 

« Le culte de la Déesse était encore présent dans les campagnes et nombre de femmes l’honoraient, en cachette de l’Église. Aelis et Imberge étaient du nombre. Les quatre sœurs avaient été élevées avec cette croyance double, sincère et pétrie d’amour. Déesse pouvait être Marie, une femme, une mère, aimant toutes les femmes, comprenant leurs souffrances. »

Ce roman, c’est aussi une ode aux femmes, celles qui enfantent, soignent ou soulagent, celles qui communient avec la nature et dispensent leur savoir. Quelques-unes d’entre elles, sous l’égide d’Elvire, se réunissent dans la forêt lors des solstices, puisant leur énergie auprès de Déesse. En ces temps d’obscurantisme, ces réunions sont une force. Pour soutenir toutes celles malmenées et vilipendées, qui n’ont pas la volonté ou les ressources pour s’émanciper du joug des hommes.

J’ai apprécié que l’autrice ne sombre pas dans les travers du manichéisme, les gentilles femmes d’un côté et les méchants hommes de l’autre. Il y a dans ce récit des hommes de confiance, qui se gardent bien d’être dans la haine ou le mépris des femmes. Et il y a des femmes capables des plus vils comportements. 

L’Église de Rome, figurée ici par l’évêque de Limoges, tente d’étouffer définitivement le culte à la Déesse, distillant son venin dans les esprits. Si une femme a soigné, c’est une sorcière, si elle n’a pas su soigner, c’est une sorcière. Car les sorcières sont partout et sèment la mort sur leur passage. Elles abritent le démon, forniquent avec le diable les nuits de pleine lune et répandent des épidémies dévastatrices. C’est pourquoi elles doivent être chassées inlassablement jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une.

Seules l’union et la solidarité permettront aux femmes sorcières de continuer à transmettre leurs connaissances, au-delà des âges, jusqu’au jour où elles pourront enfin sortir de l’ombre et retrouver la pleine lumière. 

Du contexte historique aux personnages, « La nuit des femmes » est un roman qui m’a transportée et que j’ai dévoré. Et même si j’ai trouvé la dernière partie un brin trop rapide, j’ai passé un merveilleux moment avec cette histoire. Une lecture idéale pour le mois de mars et ses challenges littéraires autour de la thématique de la femme, « Mars au féminin » créé par Florence (@floandbooks), ou encore « Les femmes sous la lune », organisé par Romane (@le_terrier_sous_la_lune).

Infos & Quatrième de couverture


La nuit des femmes de Sandrine Biyi

Éditeur : Savine Dewilde – Parution : 08/03/2024 – 404 pages – ISBN: 9782957588343.

La Nuit des Femmes reprend les tomes 1 et 2 de Sorcières, précédemment édités aux éditions du halage.
Réécrit et achevé, il livre l’histoire de quatre soeurs dans le Périgord du XII siècle, en 1178, sur les terres de Bertran de Born, chevalier et troubadour de renom.
Quatre soeurs prises dans la tourmente de la guerre entre les fils d’Aliénor et son époux, quatre soeurs fuyant le pouvoir implacable et l’acharnement de l’Eglise à les accuser de
sorcellerie.
Guérisseuses, accoucheuses, avorteuses selon, elles ne se soumettent pas. Quatre destins dans la tourmente d’une persécution qui fit des milliers de victimes sur plusieurs siècles.
La rivalité pour un homme, entre Justine et Anne, rend la situation plus dangereuse encore…

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Cet article a 18 commentaires

    1. Caroline

      Oui, il est chouette, divertissant, avec un contexte historique bien rendu.

  1. Lilou

    J’avais adoré Alienor de Mireille Calmel et tous ses livres qui se déroulent à cette période en Aquitaine…. ta chronique me donne très envie de lire ce livre qui me semble être un peu dans le même filon. Merci pour la découverte ! 🙂

    1. Caroline

      Oh, il est dans ma PAL depuis le décembre dernier ! J’ai très envie de le lire. Ici, Aliénor est présente en toile de fond, puisqu’on est surtout dans une période où son fils (Henri le jeune) et son époux (Henri II Plantagenêt) se battent pour le pouvoir. Je ne veux pas dire de bêtise, mais je crois qu’au moment de cette histoire, elle était emprisonnée par son époux. Il faut dire que la plupart des romans de l’autrice se passent dans l’Aquitaine médiévale, avant ou après Aliénor.

      1. Lilou

        Tu verras tu vas l’adorer ! 🤗

  2. Ludivine

    Elle est belle cette couverture, j’aime beaucoup les couleurs. Justine a l’air d’être un personnage attachant et j’aime l’idée de suivre ces différentes femmes dans leur évolution. Merci pour la découverte 🙂

    1. Caroline

      Oui, je la trouve superbe aussi ! C’est un roman historique riche, qui fait une belle place aux femmes dans une Aquitaine médiévale qui connaît quelques temps sombres.

  3. Pat0212

    Tu me donnes très envie de le découvrir. Bonne semaine

    1. Caroline

      Tant mieux Patricia, c’est une lecture idéale pour le mois de mars et sa thématique féminine !😉

  4. Céline C.

    Super intéressant ! Merci Caroline pour la découverte

    1. Caroline

      Avec plaisir, car vraiment, si on apprécie les romans historiques, c’est une autrice à découvrir.

    1. Caroline

      Si tu aimes les romans historiques et te plonger dans des histoires où les femmes sont à l’honneur, c’est une autrice à découvrir.

  5. La couverture est splendide et cette ode aux femmes très tentante, a fortiori si l’autrice ne tombe pas dans le manichéisme.

    1. Caroline

      Toi qui aimes ce genre d’héroïnes Audrey, le roman devrait te plaire ! J’apprécie les romans de ce type, qui font la part belle aux femmes, sans pour autant dénigrer les hommes. Car c’est la raison principale pour laquelle je fuis d’ordinaire les romans féministes, car j’ai peur du manque de nuances. Ici, ce n’est pas le cas et ça rend le propos encore plus beau.

  6. Comment résister ? D’autant plus que le récit semble nuancé. Merci pour cette très belle chronique, et la découverte de ce roman que je ne connaissais pas, Caroline. 🤩

    1. Caroline

      Je n’ai lu que deux romans de l’autrice, et chaque fois, elle a su me transporter dans son histoire, parfois passionnément. Les personnages surtout, sont très bien travaillés. On les aime (ou pas pour certains), mais il nous touche et j’adore ça. Une autrice à découvrir !

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