Enfant de salaud de Sorj Chalandon
Biographie, Historique
Sélection Prix Audiolib 2022 – Roman lu par Féodor Atkine.
Après plusieurs lectures qui m’ont enchantée, dans le cadre du Prix Audiolib, je suis un peu plus mitigée concernant ce titre. Un livre qui suscite cependant de nombreux avis élogieux, le mien ne représentant qu’une infime partie du lectorat. Malgré ses qualités indiscutables, Enfant de salaud ne m’aura pas convaincue autant que je l’espérais. J’ai toutefois beaucoup apprécié le style de l’auteur, et je pense découvrir d’autres de ses ouvrages, Profession du père notamment. Quant à l’interprétation de Féodor Atkine, elle a été à la hauteur de mes espérances, mais sur cela je n’avais aucun doute.
« Le salaud, c’est le père qui m’a trahi. »
D’un côté, le narrateur nous raconte l’histoire du père. Son père. Concernant cette partie, je suis restée à la traîne, jamais en osmose avec le récit, jamais sur la même ligne émotionnelle. Je n’ai pas réussi à croiser le chemin de ce fils, ni celui de ce père, comme si nous évoluions tous trois sur deux lignes parallèles. J’aurais souhaité pourtant être davantage empathique, mais je suis restée quasi insensible à leur histoire. Car la vie de ce père s’est révélée pour le moins incroyable, lui qui a eu « plusieurs vies et plusieurs guerres ». Trop pour ne pas mettre la puce à l’oreille, trop pour ne pas vouloir démêler le vrai du faux. Un travail titanesque et laborieux que décide d’entreprendre le fils, alors que les mots « Enfant de salaud » résonnent encore dans son esprit. Des mots prononcés un jour par le grand-père, et tatoués à l’encre indélébile dans la mémoire de l’enfant. Quelles sont les raisons qui font d’un homme un salaud, et de son fils, un enfant de salaud ? Qui était ce père en réalité et quel(s) rôle(s) a t’il joué(s) pendant la guerre ?
« Tu as enfilé des uniformes comme des costumes de théâtre, t’inventant chaque fois un nouveau personnage, écrivant chaque matin un autre scénario. »
Au rythme de ses découvertes, le fils tente de confronter le père, et je conçois que l’on puisse trouver cette tranche de vie intéressante. Pour ma part, je me suis souvent lassée de cet homme affabulateur et colérique. Cet homme qui a endossé tellement de costumes durant cette guerre, que cela n’avait plus aucun sens. Malgré tout, j’ai tout de même éprouvé une certaine compassion pour cette mythomanie excessive, qui envahit l’esprit jusqu’à le rendre malade. Ne faut-il pas aller mal pour s’inventer pareilles vies ?
En arrière-plan, il y a aussi cette mère, cette épouse, cette femme. Elle que personne ne semble vraiment voir, et qui paraît s’effacer un peu plus chaque fois que l’image de son mari devient plus précise. Elle est la seule dans cette famille pour qui j’ai ressenti une once d’affection, elle qui pourtant n’est pas le but de ce roman, tout juste une évocation. Elle m’a semblé si crédible dans son rôle d’intermédiaire, de tampon entre les deux hommes de sa vie. Elle évite les sujets qui fâchent, arrondit les angles, protège le père, justifiant régulièrement ses attitudes d’un « C’est à cause de sa guerre » . Une de ces femmes comme on peut en rencontrer parfois.
En parallèle, nous assistons au procès de Klaus Barbie. Un procès attendu et très médiatisé, auquel l’auteur a lui-même assisté en tant que chroniqueur judiciaire pour Libération. Alors les différentes histoires se confondent, s’entremêlent, la(es) guerre(s) du père, la guerre de Barbie, la guerre des témoins. Le narrateur intègre son père dans ce procès, espérant probablement une réaction, un aveu, ou pourquoi pas la vérité. Mais « La vérité, c’est que toi et ton procès vous commencez à me faire chier ! » déclame le père. Les audiences de ce procès ont nettement réveillé mon intérêt, et j’ai regretté que le roman n’ait pas porté davantage sur ce point. L’auteur rapporte avec finesse la multitude de témoignages. On observe avec émotions le courage des victimes, ces survivants de la torture qui ont perdu tellement d’êtres chers au nom de la barbarie. On ne peut qu’être admiratif devant tant de dignité, de calme et de respect. Et ce, malgré l’affront des discours de la partie adverse et la remise en question de leur réalité.
J’ai vraiment accroché au style de Sorj Chalandon, à sa plume énergique, à ces mots qui se succèdent, à ces termes évocateurs qui donnent toute leur puissance au récit. J’ai relevé un nombre incalculable de phrases, voire de paragraphes entiers. Une écriture très intense, un peu hachée, qui convoque un large panel d’émotions. Alors, même si je n’ai pas toujours été intéressée par l’histoire du père, je vous conseille vivement ce récit qui, je n’en doute pas, plaira au plus grand nombre. Par ailleurs, ce que j’ai préféré de cet ouvrage ne se trouve que dans la version audio, et c’est pourquoi je vous la recommande. Il s’agit de l’entretien avec l’auteur, qui est véritablement passionnant et instructif.
Mon avis sur la version audio :
Dans son interprétation, Féodor Atkine saisit tour-à-tour la colère, l’urgence, l’effervescence ambiante, qu’il transmet, avec authenticité, au lecteur. Quand le calme revient, la narration se fait plus apaisée mais tout aussi poignante. Une performance de grande qualité, pour une écoute immersive et saisissante. J’aimais déjà beaucoup Féodor Atkine en tant que doubleur, me voilà désormais conquise par le narrateur.
Date de lecture : 27-31 mars 2022
Et comme les mots peuvent sembler parfois bien fades, rien de mieux qu’écouter un extrait pour se faire un avis.
Infos et Quatrième de couverture
Enfant de salaud de Sorj Chalandon
Edition papier : Grasset – Parution : 18/08/2021 – 336 pages – ISBN : 9782246828150
Edition audio : Audiolib – Parution : 11/08/2021 – Durée : 9h20min – ISBN : 9791035406943 – Lu par Féodor Atkine
« Un jour, grand-père m’a dit que j’étais un enfant de salaud.
Oui, je suis un enfant de salaud. Mais pas à cause de tes guerres en désordre papa, de tes bottes allemandes, de ton orgueil, de cette folie qui t’a accompagné partout. Ce n’est pas ça, un salaud. Ni à cause des rôles que tu as endossés : SS de pacotille, patriote d’occasion, résistant de composition, qui a sauvé des Français pour recueillir leurs applaudissements. La saloperie n’a aucun rapport avec la lâcheté ou la bravoure.
Non. Le salaud, c’est l’homme qui a jeté son fils dans la vie comme dans la boue. Sans trace, sans repère, sans lumière, sans la moindre vérité. Qui a traversé la guerre en refermant chaque porte derrière lui. Qui s’est fourvoyé dans tous les sièges en se croyant plus fort que tous : les nazis qui l’ont interrogé, les partisans qui l’ont soupçonné, les Américains, les policiers français, les juges professionnels, les jurés populaires. Qui les a étourdis de mots, de dates, de faits, en brouillant chaque piste. Qui a passé sa guerre puis sa paix, puis sa vie entière à tricher et à éviter les questions des autres. Puis les miennes.
Le salaud, c’est le père qui m’a trahi. »
L’avis de mes collègues jurées
Parce que nous n’avons pas toujours les mêmes ressentis ou la même façon de parler d’un livre, voici quelques avis de mes collègues de jury.
Enfant de salaud a beaucoup de succès parmi les membres du jury et, de manière générale, nous avons toutes beaucoup apprécié la performance de Féodor Atkine.
Audrey, du blog Light and Smell, a aimé ce livre, et elle vous en parle dans sa chronique.
Maeve, du blog Mademoiselle Maeve, a elle aussi aimé ce récit. Voici sa chronique.
Aude, du blog Aude bouquine, a aimé ce livre et ses mots concernant la version audio sauront certainement vous convaincre. Voici sa chronique.
En savoir plus sur Le murmure des âmes livres
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Il m’intrigue depuis sa sortie, merci pour ta très belle chronique ☺️
Avec plaisir ! Malgré les quelques points qui m’ont gênée, je ne regrette pas d’avoir découvert ce roman.
J’avais lu la chronique d’Audrey sur ce livre et même si il a l’air intéressant, je ne pense pas que cette lecture soit faite pour moi. Même si j’ai bien aimé l’extrait que tu as publié dans ton précédent article. 🙂 Je pense que comme toi, si le livre s’était concentré sur le procès, peut être qu’il m’aurait davantage fait de l’oeil. Merci pour cette chronique. 😊
Pour ma part, il est vrai que s’il n’avait pas fait partie de la sélection pour le Prix Audiolib, je ne me serais probablement pas tournée vers ce roman. Mais finalement je suis contente, car j’ai découvert un auteur dont la plume me plaît énormément.
Alors je te souhaite de belles trouvailles pour les prochains romans que tu découvriras de l’auteur, tu as tout de même fait une chouette découverte malgré les bémols de cette lecture. 🙂
Merci pour le partage 🙂
J’ai trouvé parfois l’histoire redondante et comme toi, j’ai eu beaucoup de mal avec la figure de ce père autoritaire et menteur. Je ne sais pas comment l’auteur a pu vivre avec un tel homme. Et je te rejoins complètement sur l’interprétation magistrale de Féodor Atkine !
Probablement que enfant, il ne distinguait pas vraiment ce qu’il y avait d’incroyable dans ces récits. Mais par contre, bizarrement, moi qui n’ai pas vraiment apprécié cette partie dans le texte, j’ai tout de même envie de lire « Profession du père ».
Je t’avoue que ça ne me tente pas outre mesure, mais ta future chronique me fera peut-être changer d’avis.
Ton avis est vraiment très intéressant. Tu soulèves un point pertinent sur le rôle de la mère que je n’ai pas développé, mais qui a toute sa place. Tu as tout à fait raison : cette femme est centrale sans l’être, en tout cas la place qui lui est donnée est réellement celle de tampon et elle méritait qu’on en parle. Que sait-elle vraiment ? Avec quoi doit-elle composer au quotidien ? Très très belle chronique qui me fait m’interroger, encore, sur ce texte.
Merci Aude. 😊 Je me suis également demandée ce qu’elle savait, et si elle croyait à toutes ces histoires. Je crois que si elle m’a marquée, c’est aussi à cause de son départ à la retraite, qui en dit long sur sa personnalité un peu effacée.