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  • Publication publiée :2025-10-23
  • Post category:Chroniques
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Le livre de Kells de Sorj Chalandon

Fiction autobiographique

Date de lecture : 9-11 oct. 2025

Lecture audio → Roman lu par Féodor Atkine.

Lecture n°20 du Pumpkin Autumn Challenge organisé par Guimause Terrier. 🍂 Menu Automne Frissonnant, Catégorie Ma Meilleure Ennemie (Inégalité, Résistance) 🍂

J’ai découvert Sorj Chalandon avec le livre audio « Enfant de salaud », lu par Féodor Atkine, grâce au Prix Audiolib 2022 pour lequel j’étais jurée. Si je vous parle de ça, c’est parce que Sorj Chalandon et Féodor Atkine, c’est une équipe qui gagne. Ce sont les mots justes et la voix idéale pour les porter. Alors quand j’ai vu que le dernier roman de l’auteur, « Le livre de Kells », était aussi lu par ce comédien, je n’ai pas hésité une seconde !

« Lorsqu’on quitte ses parents, son enfance et la vie d’avant, on s’imagine désormais en été pour toujours. Se baignant dans les lacs paisibles, se douchant sous les cascades de montagne, buvant l’eau glacée des fontaines de village. Ciel bleu, pain doré, saucisson aux noix. »

Dès les premiers mots, tout m’est revenu en mémoire. Je me suis souvenu de « l’Autre », de ce mythomane qui m’avait sidérée dans « Enfant de salaud ». Je me suis souvenu de ce qui était dit entre les lignes par l’auteur et qui, ici, est exprimé clairement. L’Autre était violent, physiquement et psychologiquement. Il faisait vivre un enfer à son fils et à sa femme. Alors, à 17 ans, le fils de l’Autre a demandé son émancipation. Et il est parti, avec son baluchon et 100 francs en poche. 100 francs durement économisés par la mère, à la barbe de l’Autre.

On est en 1970, et débute pour lui une nouvelle vie, à laquelle il n’était pas préparé. Car, s’il a fui la violence du père, c’est la violence de la rue qui le rattrape. Et elle est tout aussi dévastatrice. C’est la violence de l’invisibilité, d’une rue qui vous avale jusqu’à vous faire disparaître. La peur, la fatigue, la faim, la crasse, les bonnes et les mauvaises rencontres.

Jusqu’au jour où un groupe d’individus va lui offrir son aide. Ces gens, ce sont des maoïstes, avec leur conception bien à eux du maoïsme. Sans Pékin, communistes (mais « des vrais, pas des traîtres à la sauce PCF. »). Avec eux, Kells va trouver une famille, prendre un nouveau départ. Mais il va aussi continuer avec sa vieille amie, la violence, parce que c’est difficile de s’en libérer quand on a quasiment connu qu’elle.

« Aucun pacte avec le Diable. Aucun souhait à exaucer. Aucun rêve de grandeur. Nous ne serons jamais que la somme de nos volontés. Nous ne voulions pas briller mais relever les autres. Ceux tombés dans le fossé ou égarés sur les chemins. La communion était force. Nous avions abandonné toute idée de destin personnel. Nous n’étions pas des individus, mais un peuple en marche. »

J’ai beaucoup aimé ces chapitres-là, car je connaissais assez peu le contexte historique et social des années post soixante-huit. Les mouvements militants qui ont animé le paysage français à l’époque, la résistance pour aider les plus faibles et les opprimés, la lutte ouvrière, et puis les jeux olympiques de Munich de 1972. Tous ces chapitres m’ont particulièrement intéressée, surtout parce que c’est raconté sans jugement. Je me suis abreuvée de cette effervescence chaotique, de ces conflits complexes à appréhender pour qui n’a pas connu ces années-là. Les flics qui tabassent sans raison, les « militaro-débiles » qui jouent du poing (ou du nunchaku), les têtes pensantes qui réfléchissent à l’avenir du mouvement. Et la naissance du journal Libération, soutenu par Jean-Paul Sartre (encore).

« Libération publiera des articles venus du fond des ateliers, des cellules de prison, du plus loin de la souffrance et de la solitude. Finie la peinture rouge dans la gueule d’un chef d’atelier, mais son nom dans un titre en gras. Les luttes invisibles, femmes, homosexuels, minorités, toutes seront en première page. »

Cette histoire, je l’ai trouvée très belle, même si j’imagine bien qu’elle n’a pas été écrite dans ce but. Cette beauté, je l’ai trouvée partout. Dans l’imagination du jeune Kells, qui fait de sa mère une héroïne, forte et engagée, prête à se sacrifier pour une cause noble. Dans le geste de cette femme, qui une nuit d’hiver lui ouvre sa porte. Dans cette serveuse qui lui porte attention. Dans ces gens qui ont tendu la main sans rien attendre en retour. C’est la solidarité qui transparaît dans tous ces passages qui m’a touchée et émue.

Ce qui est incroyable, c’est qu’en écrivant ma chronique, j’ai le coeur qui palpite, l’envie de vous partager toutes ces phrases qui m’ont touchée, bousculée, attristée. Mais, il y en a tellement que ça ne rimerait plus à rien. Qui a déjà lu l’auteur, ce livre ou un autre, sait de quoi je parle. Il a cette façon tellement juste d’exprimer les choses. Très pudique, presque à demi-mot, et pourtant, je ressens tout si intensément qu’il m’arrive même d’avoir mal aux yeux tellement ils sont embués. Mais c’est lors de la rencontre entre Sorj Chalandon et la librairie Mollat que je verse définitivement les larmes que je portais en moi. Lisez Sorj Chalandon, vraiment. Ses fictions ou ses romans autobiographiques. Peu importe, lisez-le.

Et si vous aimez les livres audio, je vous invite de tout cœur à écouter celui-ci, parce que Féodor Atkine qui lit Sorj Chalandon, c’est l’assurance d’une écoute formidable. Sa lecture du texte est tout simplement juste, ni plus, ni moins. Il a su respecter la pudeur de l’écrivain, comme s’il s’était fondu dans sa peau. Et le résultat est saisissant. Écoutez Féodor Atkine lire Sorj Chalandon, vraiment. Merci Audiolib, merci Féodor Atkine, merci Quali’Sons.

Infos & Quatrième de couverture


Le livre de Kells de Sorj Chalandon

Éditeur : Audiolib – Parution : 13/08/2025 – Durée : 9h52min – ISBN/ASIN: 9791035420291 – Lu par Féodor Atkine – Genre : Fiction autobiographique.
Également disponible : 📕 En grand format chez Grasset, 2025.

« Kells, c’est moi. Gamin enfui de Lyon à 17 ans pour ne pas être dévoré par son Minotaure de père, raciste et antisémite. Enfant fragile devenu chien des rues, luttant pour sa survie pendant un an, seul à Paris, sans toit, sans refuge, sans rien d’autre pour dormir que les bancs, les caves d’immeubles, les paillassons des derniers étages. Un paumé qui se faisait appeler Kells, en référence à un Évangéliaire irlandais du IXe siècle, une merveille celtique.
Et puis un jour, quittant la rue grâce à des femmes et des hommes qui m’ont tendu la main, sorti de la misère, accueilli, logé, nourri, instruit, aimé, armé, je me suis réconcilié avec l’humanité.
Le Livre de Kells est aussi l’histoire d’une jeunesse engagée et d’une époque violente. J’y ai changé des patronymes, quelques faits, parfois bousculé une temporalité trop personnelle, pour en faire un roman. La vérité vraie, protégée par une fiction appropriée. »
S. Ch


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Cet article a 5 commentaires

  1. J’ai découvert l’auteur dans le même cadre que toi et ressens toute ton émotion à la lecture de ton avis sur ce texte fort qui semble t’avoir profondément touchée. Je lis peu de textes du genre mais avec cet auteur, je pourrais certainement faire une exception.

  2. Céline C.

    C’est très beau et émouvant ce que tu nous racontes Caroline, on ressent merveilleusement bien ton émotion et ce que cette lecture t’a apportée. C’est très touchant 🥰. Je n’ai jamais lu cet auteur, j’ai dans ma PAL « Le quatrième mur » que je dois découvrir.
    Je ne lirai pas celui-ci, qui t’a tant plu, pour des raisons personnelles ; lire que Jean Paul Sartre et le journal Libération étaient extraordinaires … non. Ils sont salués unanimement la prise de pouvoir de Pol Pot et on mit des années à faire leur mea-culpa, le maoïsme dans toute sa splendeur 😔
    Merci pour ce beau partage Caroline 😘

    1. Caroline

      Merci Céline ! 🥰 Mais sinon, il ne dit pas du tout que Libération était un journal extraordinaire. Il évoque comment le journal est né, mais jamais il ne s’avance. C’est ça que j’aime chez lui. La citation que j’ai mise est celle d’un « copain » du mouvement qui s’imagine tout ce qui pourrait changer, si on leur donnait officiellement le droit à la parole dans un journal. Je t’avoue que je ne connais rien du tout à la politique et encore moins de ces années-là. Et la profusion de mouvements m’a d’ailleurs étonnée.

  3. Je sens bien ton engouement !! Il est sur ma liste et je vais l’écouter en audio. Que j’aime la voix de Feodor ♥️

    1. Caroline

      J’ai hâte que tu l’écoutes et de savoir ce que tu en auras pensé.

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