Chronique - Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes de Lionel Shriver

Chronique – Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes de Lionel Shriver

Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes de Lionel Shriver

Contemporain

Quelle fabuleuse découverte pour moi que cette écrivaine à l’humour incisif, au regard critique et sans langue de bois sur notre société actuelle !

« Le triathlon n’est pas quelque chose pour quoi on est ou non taillé. C’est un défi que tu décides de relever. »

L’entrée en matière nous plonge sans ambages dans l’ambiance à venir. Suite à un conflit avec sa supérieure hiérarchique, Remington est licencié et ne s’est pas tout-à-fait remis d’une telle injustice. Aussi, lorsqu’il annonce à sa femme Serenata qu’il a « l’intention de courir un marathon », celle-ci y voit un rapport de cause à effet.

Loin d’être emballée par l’initiative de son mari, Serenata se montre réticente à l’encourager dans cette voie, lui qui n’a jamais été un grand sportif. Elle se sent trahie et en position de faiblesse, elle qui se retrouve rattrapée par la vieillesse, avec son arthrose au genou. Elle, la véritable sportive de la famille, qui ne peut plus ni courir, ni faire de vélo ou à peine un peu de fitness, sans souffrir le martyre.

J’ai apprécié l’habileté de Lionel Shriver à aborder les thèmes du couple et de la vieillesse.

Si les conjoints se sont plutôt bien accordés jusqu’ici, chacun respectant le besoin d’espace de l’autre, et toujours unis par des valeurs communes, Remington semble ne plus pouvoir accepter le ton acerbe de son épouse, et son manque de sociabilité. L’incompréhension s’installe, et, alors qu’ils s’éloignent peu à peu, Remington trouve du soutien auprès de Bambi, une coach sportive, prête à l’entraîner, avec quelques autres, pour le triathlon des MettleMen.

Pour autant, le roman ne se résume pas à la préparation de ce triathlon. A travers les pensées de nos deux protagonistes, Lionel Shriver nous plonge avec brio dans les travers d’une société où tout ce que l’on fait, tout ce que l’on dit, est influencé par un monde aux nombreuses contradictions.

« Le fait d’utiliser une expression à la mode était l’illustration même de ce manque d’originalité, de ce comportement moutonnier qui la mettait en rage. »

Serenata aime faire ses propres choix, souvent à contre-courant de ceux en vogue. Et si son avant-gardisme la place plus tard dans le sens du courant, elle se tourne alors vers d’autres horizons. Finalement, on peut légitimement se demander si elle est si différente des « moutons » qu’elle critique.

Alors qu’elle ne comprend pas l’irresponsabilité de Remington, qui inflige à son corps bien plus qu’il ne peut supporter, elle peut, elle aussi, s’embarquer dans des situations extrêmes, à cause d’une fierté mal placée. Son entêtement à ne pas soutenir ouvertement son mari, à dénigrer tout ce qui va à l’encontre de sa pensée, la rend quelquefois antipathique.

Remington n’est pas exempt de défauts non plus, et son manque d’empathie envers sa femme est navrant. Ramener ses amis du club de triathlon à la maison, alors qu’elle subit tous les jours les dommages infligés à son corps après tant d’années de pratique physique, peut passer pour de la provocation.

« Bientôt, on ne pourra même plus dire ce qu’on n’a plus le droit de dire. On sera persuadés que s’exprimer est extrêmement risqué et l’espèce deviendra muette. »

Dans ce récit, le monde part en vrille. Nous ne recherchons plus l’équilibre d’un esprit sain, dans un corps sain, nous recherchons la perfection. Nous nous mettons au sport pour le paraître et non pour le bien-être. Nous ne pouvons plus rien dire, sous peine de voir nos propos détournés.

Dans cette veine, j’ai adoré le ton employé par l’autrice. Les échanges entre Serenata et sa fille, notamment, sont parfois jubilatoires. Cette fille qui accorde le « pardon » à sa mère mais qui n’a de cesse d’envoyer des piques bien placées. Cette mère qui ne comprend toujours pas, après tant d’années, de quoi elle est pardonnée.

Avec Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes, Lionel Shriver m’a régalée de sa plume acérée aux dialogues caustiques. Un roman que je conseille vivement autour de moi !

Je remercie NetGalley et la maison d’édition pour l’envoi de ce roman. #LionelShriver #NetGalleyFrance

Infos
Editeur : Belfond
Parution : 19/08/2021
384 pages
ISBN : 9782714494375
Quatrième de couverture
« Avec une plume plus incisive que jamais et un humour ravageur, Lionel Shriver livre un roman explosif sur un couple de sexagénaires en crise, dressant au passage un portrait mordant de nos sociétés obsédées par la santé et le culte du corps. Une bombe de provocation qui prouve, s’il le fallait encore, que Lionel Shriver est une des plus fines observatrices de notre temps
Un beau matin, au petit-déjeuner, Remington fait une annonce tonitruante à son épouse Renata : cette année, il courra un marathon. Tiens donc ? Ce sexagénaire certes encore fringant mais pour qui l’exercice s’est longtemps résumé à faire les quelques pas qui le séparaient de sa voiture mettrait à profit sa retraite anticipée pour se mettre enfin au sport ? Belle ambition ! D’autant plus ironique que dans le couple, le plus sportif des deux a toujours été Renata jusqu’à ce que des problèmes de genoux ne l’obligent à la sédentarité. Qu’à cela ne tienne, c’est certainement juste une passade. Sauf que contre toute attente, Remington s’accroche. Mieux, Remington y prend goût. Les week-ends sont désormais consacrés à l’entraînement, sous la houlette de Bambi, la très sexy et très autoritaire coach. Et quand Remington commence à envisager très sérieusement de participer à un Iron Man, Renata réalise que son mari, jadis débonnaire et volontiers empoté, a laissé place à un être arrogant et impitoyable. Face à cette fuite en avant sportive, leur couple résistera-t-il ? »
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Cet article a 4 commentaires

    1. Caroline

      Ce roman m’a donné envie de découvrir « Il faut qu’on parle de Kevin ». Si c’est le même registre au niveau de l’humour et de la plume, je pense que je vais aimer.

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