Moana Blues d’Anne-Catherine Blanc
Littérature contemporaine
Date de lecture : 15-17 janv. 2022
Roman lu dans le cadre d’une Masse Critique Babelio.
“Moana, mon fils, j’aurais voulu que la mer ne rende jamais ton corps. J’aurais voulu te revoir à jamais libre et beau, souriant de toutes tes dents très blanches dans ton visage coloré par le soleil, sous la broussaille de ta chevelure délavée, toujours empesée de sel.”
J’ai beaucoup aimé ce roman, qui s’apparente davantage à une introspection de la part de son protagoniste, Paulot. Paulot et ses pensées intarissables, qui surgissent comme un cri aussi assourdissant que les paroles qu’il n’arrive pas à prononcer. Car Paulot est en deuil. Il pleure silencieusement Moana, son fils, son passionné de surf, son amoureux de la mer. Il pleure intérieurement, avec décence et un peu de distance aussi, car il n’est pas facile de clamer son amour pour un fils qui est un beau-fils. Il redoute que le monde lui hurle son illégitimité au visage, lui le “père d’élection”. Comme si être père n’était qu’une histoire de biologie, de lien du sang.
C’est un commencement dans le chagrin, dans la douleur. Celui de se lever le jour de l’enterrement et d’affronter la réalité. Moana n’est plus. L’envie de se recoucher et d’oublier, surtout la vision de ce corps bleui sous la bâche. Mais sa famille d’adoption, celle de sa femme Malinda, est là pour les soutenir. Une famille d’insulaires chère à son coeur, qui l’a adopté et qu’il a adoptée, lui le popa’ vieillissant, l’ancien prof venu de la métropole.
“Aucun père, qu’il soit père biologique ou père d’élection, ne maîtrise la mort de son fils.” Alors, comme pour panser sa blessure, Paulot déroule le film de sa vie sur l’île, ses rencontres, Malinda, sa paternité, ses projets et Moana, toujours. Peut-être qu’à force d’y penser, la peine se tarira. Comme un refrain lancinant auquel on finirait inévitablement par s’habituer, avant de se résoudre à l’accepter. Mais pour l’instant, la douleur est profonde, déchirante, physique aussi. Son corps, si fiable d’ordinaire, est en train de lâcher prise. Peut-être le signe que certains cris doivent impérativement jaillir.
Ce monologue intérieur est comme un chemin de croix, qui nous plonge également dans les coutumes et traditions tahitiennes. L’écriture, superbe, authentique, suscite une empathie immédiate. En cette journée de deuil, on suit Paulot qui se laisse porter, un pas après l’autre, vers l’adieu au fils. J’ai visualisé sans peine sa carcasse, le regard lointain, le poids du chagrin sur ses épaules, l’obstruction de sa trachée. Je l’ai imaginé prendre part à cette journée sans y prendre part vraiment, comme envahi par un vague à l’âme, le “Moana Blues”. Un récit que j’ai trouvé aussi captivant qu’émouvant, essentiel et poétique, jamais larmoyant.
Une chose est sûre, après mes lectures saisissantes de “Bones Bay” et “Moana Blues”, je vais suivre de près les éditions “Au vent des îles” et continuer à découvrir leurs publications.
Je remercie Babelio et la maison d’édition pour l’envoi de ce roman.
Infos et Quatrième de couverture
Moana Blues d’Anne-Catherine Blanc
Édition : Au vent des îles – Parution : 20/01/2023 – 144 pages – ISBN: 9782367344829 – Genre : Littérature contemporaine.
“Sur la presqu’île de Tahiti, Paulot, la cinquantaine, affronte une journée sans fin dans sa maison endeuillée : son beau-fils Moana, 16 ans, s’est noyé. Accablé de chagrin mais étranger à un cérémonial qui lui échappe, l’îlien d’adoption ne parvient à trouver ni sa place ni ses mots au sein d’une famille recomposée, à la fois unie et fragile, qu’il aime et défend farouchement sans toujours la comprendre. Une famille qui, elle non plus, ne le comprend pas toujours, mais sait faire bloc pour le protéger. Dans un état proche de l’apnée, il s’immerge au milieu de ses souvenirs et de ses démons avant de refaire surface, purifié par la douleur. Une plongée lumineuse et sensible au coeur d’un être déchiré, un appel à l’empathie au-delà des différences.”
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Cette couverture est très jolie, et le sujet de ce roman a l’air poignant. Ca montre bien que les liens et l’amour familiale vont bien au delà des liens du sang. Merci beaucoup pour cette découverte Caroline. ☺️
Avec plaisir Ludivine. Il est vrai que la couverture est superbe, comme toutes leurs publications d’ailleurs.
Il a l’air très poignant ce roman. Et je trouve intéressant d’aborder la thématique du deuil d’un enfant sous le prisme d’un père d’adoption.
Je l’ai trouvé magnifique. Malgré le sujet, il se lit facilement. C’est assez difficile à expliquer dans une chronique, mais c’est un récit captivant et poignant.
Ton avis permet de le ressentir…
Un belle découverte du coup ! merci pour cette chronique.
Pour la masse critique Babelio, je vais lire prochainement « La déclaration » de Robert Massart.
Ah oui ! Ce roman a l’air original et un peu fantasque. J’ai hâte de voir ton retour dessus.