Mater Dolorosa de Jurica Pavičić
Policier
Date de lecture : 5-6 juil. 2025
« Merci, sainte Mère, pense-t-elle. Merci à toi, Dolorosa. Tu as exaucé les prières d’une pauvre mère, d’une mère comme toi. »
Le corps sans vie d’une jeune femme est retrouvé près d’une usine désaffectée de Split. Un crime sordide, d’une violence rare, qui va venir bouleverser la vie des trois personnages principaux de ce roman.
« Mater Dolorosa » n’est pas un roman policier comme les autres. C’est ce que j’ai pensé en plongeant dans les premiers chapitres, alors que nous découvrons la routine quotidienne d’Ines, réceptionniste dans un hôtel de luxe, de Katja, sa mère, et accessoirement de Mario, son frère. Dès le départ, nous comprenons que les membres de cette famille sont intimement liés à l’enquête autour de cette jeune femme assassinée, fille d’un notable de la ville.
Une enquête menée par Zvone, un policier particulièrement perspicace, qui m’a beaucoup plu. Il a cette intégrité et en même temps cette conscience aiguë des limites de sa fonction, dans une société gangrenée par la corruption, où la vérité n’est que secondaire.
« La vérité ! Tout le monde le dit, même Dieu et même l’Église ! Tout le monde peut être la proie du diable ! Un seul moment d’inattention et il te suce ton âme, il entre dans toi et il s’empare de toi. Il lui faut pas longtemps, au diable : dix minutes, quinze minutes… il trouve le chemin. Quinze minutes, il a pas besoin de plus. Et maintenant, à cause de ces quinze minutes, il faudrait foutre en l’air la vie de quelqu’un. Qu’elle soit détruite pour toujours. »
J’ai beaucoup apprécié la façon de procéder de l’auteur, qui ne laisse finalement aucune place au doute quant à l’identité du coupable. Ce qui est intéressant, c’est d’observer le tiraillement des protagonistes au fil des pages, chacun tentant d’apprivoiser un secret qui éprouve ses convictions, ses valeurs morales. Révéler ses doutes, au risque de voir toute sa vie voler en éclats ? Se taire, au risque de voir son âme empoisonnée par une culpabilité dévastatrice ? Qu’est-on prêts à passer sous silence par amour ? Jusqu’où sommes-nous capables d’aller pour protéger ceux qu’on aime ?
C’est d’autant plus terrible quand la vie d’une personne innocente est en jeu, un suspect idéal, livré en pâture au médias, aux réseaux sociaux, à la haine et au jugement d’autrui. Le jeu en vaut-il la chandelle ?
J’ai aimé la tension qui prend forme peu à peu, cette suspicion croissante qui met les nerfs à vif, ce jeu du chat et de la souris. Et puis, au milieu de cette « bataille », il y a Zvone, qui voudrait bien faire pencher la balance, afin que justice puisse être rendue. Mais, lui aussi est en proie à ses propres démons.
« Les autorités communistes ont érigé des centaines d’immeubles en béton pour les travailleurs qui faisaient tourner les usines. Des milliers de personnes ont fui leur tas de cailloux, la soif et la misère des campagnes, pour emménager au cinquième, au douzième ou au quinzième étage de tours grises. »
« Mater Dolorosa » est un roman policier lent, pesant, qui m’a laissé un étrange sentiment de tristesse. C’est d’autant plus saisissant que le décor m’a paru d’une sobriété accablante, si ce n’est cette Mater Dolorosa au « cœur jaune chromé », qui dénote dans cet univers gris béton. Pour autant, ne vous méprenez pas, j’ai aimé cette lecture. J’ai aimé son originalité, son réalisme, sa dualité constante, les questionnements qui accaparent les protagonistes. C’est le genre de roman policier qui tire un peu vers le roman noir et que j’aimerais lire plus souvent.

Extrait

« En observant autour de lui ce luxe discrètement chic, Zvone ne peut s’enlever de la tête une pensée qui ne lui plaît pas et qu’il déteste avoir dans l’instant présent. « Combien de pots-de-vin pour toute cette opulence ? Dans tout ça, qu’est-ce qui a été payé par leurs salaires, leurs honoraires et leurs royalties ? » Il rumine cette pensée dans sa tête, et en a honte dans le même temps. Dans quelle proportion cet argent leur est parvenu dans des paquets de café et des boîtes de chocolats, accompagnés du sourire discret et du silence entendu de tous ces patients misérables et pressurés qui sont passés pendant des années par le service du docteur et de la doctoresse Zeba ? Il ne peut pas le savoir. »
Infos & Quatrième de couverture

Mater Dolorosa de Jurica Pavičić
Éditeur : Agullo – Parution : 05/09/2024 – 395 pages – ISBN: 9782382461235 – Traduction : Olivier Lannuzel.
« Mater Dolorosa. Mère de toutes les mères, une mère qui souffre comme chacune des femmes ici. »
Automne 2022. Après la saison touristique, Split se dirige lentement vers l’hibernation d’après-saison. Ines est une jeune femme qui travaille à la réception d’un hôtel. Sa mère, Katja, est femme de ménage et s’occupe de la maison, d’Ines et de son jeune frère.
Zvone est un policier prometteur qui reçoit un appel du travail. Un corps a été retrouvé dans une usine désaffectée à proximité de la ville. Il s’agit du corps d’une jeune fille de 17 ans, Viktorija, fille d’un éminent médecin.
Le meurtre de la jeune fille bouleversera à jamais le destin des trois personnages principaux….
Que sommes-nous prêts à sacrifier pour protéger ceux que nous aimons, et quelles en seront les conséquences inévitables ?
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Le roman a l’air imprégné de dilemmes moraux…
Il faut que j’essaye au moins ce roman parce que ton article m’intrigue énormément et que j’ai beaucoup apprécié ses romans précédents.
Je l’avais emprunté à la médiathèque il y a quelque temps mais je n’avais pas eu le temps de le lire. J’ai lu une autre chronique, et en lisant la tienne en plus, je ne suis pas certaine qu’il me corresponde. Merci pour le partage Caroline
J’ai beaucoup aimé moi aussi ce policier qui n’en est pas vraiment un et sa lenteur qui en fait un « noir » de qualité. Les autres romans de cet auteur ont les mêmes caractéristiques, et je les ai tous appréciés.