Chronique – La nuit ravagée de Jean-Baptiste Del Amo
Fantastique, Horreur, Social
Date de lecture : 28-30 mars 2025
« Au fond de l’impasse, plongée dans son repli sombre, la maison abandonnée était à peine visible, sépulcrale, et Alex eut le sentiment qu’une tristesse infinie s’en dégageait, que le pavillon déserté matérialisait soudain cette peine vertigineuse dont il ne percevait pas encore les contours, ce gouffre de solitude et d’abandon. Dans le même temps, il fut traversé par l’idée – la conviction – improbable qu’il pourrait trouver ici un soulagement à sa souffrance, que cet endroit pourrait en être le réceptacle, et qu’il lui suffirait pour cela d’en franchir la porte. »
Depuis le suicide pour le moins étrange de leur camarade de classe, des adolescents s’avèrent irrésistiblement attirés par une maison abandonnée de leur lotissement. D’autant plus quand la soeur de ce dernier prétend que son frère était obsédé par elle, et qu’elle l’a rendu fou.
Située tout au fond de l’impasse des Ormes, la maison a faim. Aussi, lorsqu’une âme s’aventure près de ses volets clos, elle l’hypnotise, accapare toutes ses pensées, s’insinue jusque dans ses rêves. Plusieurs tentatives lui sont parfois nécessaires pour capturer sa proie, pour connaître tous ses secrets, des plus anodins aux plus indicibles. Au départ, elle montre l’étendue de son pouvoir, exauce ses désirs les plus intimes. Puis, une fois qu’elle l’a engloutie en son sein, elle exacerbe ses peurs les plus profondes, s’en nourrissant avec délectation. Le Mal est une infection qui se propage aussi sûrement qu’une gangrène, noire et suintante. Inutile de lutter, vous ne pouvez pas lui échapper. La maison resserre sur vous son étau invisible, annihile toute volonté, tout sentiment de rébellion, et sa force grandit à mesure que l’horreur vous paralyse. À ce moment-là, il est probablement déjà trop tard…
J’ai été complètement envoûtée par l’ambiance de ce récit ayant pour décor la banlieue toulousaine des années 90. L’auteur livre une peinture de la jeunesse de l’époque avec une authenticité qui m’a touchée, sans doute car elle éveille une nostalgie douce-amère, celle d’un âge révolu, oscillant entre insouciance et lucidité. Chaque scène, chaque détail de cette histoire a pris vie sous mes yeux, et j’ai plongé avec intérêt dans toutes ces tranches de vie, faites d’espoir et de failles.
J’ai aimé les clins d’oeil à des oeuvres phares du genre fantastique, telles que « Ça » du King ou « The Thing » de Carpenter, entre autres, sans jamais que toutes ces références ne deviennent indigestes. Tout est subtil, magnifiquement écrit, et absolument effrayant. C’est une lecture qui laisse les mains moites et le coeur battant, un cri guttural coincé au fond de la gorge.
Avec La nuit ravagée, Jean-Baptiste Del Amo mêle habilement le fantastique et l’horrifique au roman social, et m’a happée jusqu’à la dernière ligne de son récit, et même de sa postface. C’est l’une de mes meilleures lectures de l’année, et avec le recul, je me demande même si ce n’est pas un coup de coeur.
Infos & Quatrième de couverture
La nuit ravagée de Jean-Baptiste Del Amo
Éditeur : Gallimard – Parution : 13/05/2025 – 464 pages – ISBN: 9782073092373.
Saint-Auch, petite bourgade en périphérie de Toulouse, au début des années 1990. Au fond de l’impasse des Ormes se trouve une maison abandonnée qui depuis toujours exerce une attraction étrange sur un groupe d’adolescents du quartier. Lorsque l’un d’entre eux meurt dans de terribles circonstances, ils décident d’y entrer, sans se douter des périls auxquels ils s’exposent.
Rendant hommage au roman horrifique, Jean-Baptiste Del Amo explore les rêves et les désillusions d’une époque, d’une génération et d’une classe sociale confrontées à la brutalité du monde et aux ravages du temps.
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Ce livre a tout me plaire, et je n’en lis que de bons retours!
Un livre qui me tente beaucoup, il a tout pour me plaire. Bonne journée
Plus j’entends parler de ce titre, et plus j’ai envie de le lire… j’ai beaucoup aimé Règne animal, de cet auteur.
Merci Caroline pour cette chronique enthousiaste (cette année tu as déjà eu beaucoup de coups de cœur, je t’envie 😉)! J’ai repéré ce titre, mais le côté horrifique pff je n’aime pas ça. En revanche, le côté fantastique me tente bien. Alors je ne sais pas, je verrais selon
C’est un roman que j’ai beaucoup hésité à découvrir. Le côté horrifique me tentait carrément, et apparemment l’auteur réussit ce pan de l’histoire, sans tomber dans la surenchère. Je vais le faire remonter dans ma wish list, du coup. Merci Caroline, pour cet avis très complet qui m’éclaire davantage. 🤩
Oui, le côté horrifique est très réussi, dans le sens où tu retrouves cette ambiance si spéciale des films et livres d’horreur des années 80-90, comme Freddy Krueger, etc, et puis ce côté adolescent idéalement dépeint dans le Ça du King. Et en même temps, l’auteur a vraiment une belle écriture et l’ensemble fait que j’ai été totalement conquise.
Je découvre grâce à toi ce roman qui me semble parfait pour le Pumpkin Autumn Challenge !
Ah oui, c’est sûr Audrey ! Tu vois, je pense que je le relirai un jour (tout comme j’ai relu Notre part de nuit).
Le genre horrifique ne me tente pas, aussi bien écrit soit-il, et justement «Notre part de nuit» est un de ces livres magnifiquement écrits qu’il m’a fallu interrompre pour éviter d’entrer dans la noirceur absolue.
Je comprends Hedwige. Notre part de nuit m’est venu en tête lors de la lecture par rapport à la maison. Il y a une maison un peu similaire dans le roman de Mariana Enriquez. Ce que j’ai adoré, c’est l’ambiance, et puis la vie de ses ados, qui ont à la fois la liberté un peu insouciante de la jeunesse, et en même temps, des problèmes difficiles à vivre. Bref, j’ai adoré. 😁
J’attends le moment idéal pour l’attaquer parce que je suis sûre qu’il va me demander une certaine implication. Ta chronique me donne très envie ♥️
Peut-être un peu, c’est vrai Aude, mais, on se laisse très vite prendre par l’ambiance.