Chronique – Tombée du ciel d’Alice Develey

Tombée du ciel d’Alice Develey

Témoignage

Date de lecture : 12-13 mars 2025

Lecture audio→ Roman lu par Ariane Brousse – Roman lu dans le cadre du Prix Audiolib 2025.

« Elle n’a ni bouche ni tête, mais une voix. Et cette voix est un ordre. La vraie maladie de l’anorexie, c’est la résignation, la soumission au malheur. Car cette chose, cette horreur, oblige sa victime à mentir, à la cacher, à la protéger au mépris de ceux qui l’aiment et veulent l’aider ; elle lui fait croire que sans elle, elle ne pourrait pas vivre, alors même qu’elle est celle qui la tue. »

Alice a quatorze ans lorsqu’elle est internée dans un hôpital pour anorexie. Elle a quatorze ans et ne comprend pas ce qui lui arrive. Elle a quatorze ans et « en quelques minutes, [elle est] devenue malade. »

Quand j’ai débuté ce roman d’Alice Develey, je n’ai pas tout suite été portée par les mots. Je suis restée quelque temps à distance, comme une spectatrice observant de loin une vie qui n’est pas la sienne. J’avais du mal à communier avec les sentiments de la narratrice, jusqu’à ce qu’elle soit hospitalisée.

J’ai été profondément choquée par les actes, les paroles et même les silences. Alice ne comprend pas pourquoi elle se retrouve dans cet endroit, elle se débat, elle hurle sa souffrance au monde et personne ne l’écoute. Mais enfin, pourquoi n’a t’on rien expliqué à cette jeune fille ?! N’a t’on pas essayé ? Il s’agit d’un récit subjectif, de l’intimité d’Alice et de ce qu’elle a ressenti au plus profond d’elle-même, mais c’est tellement hallucinant. C’est comme si tous, de son entourage en passant par le médecin traitant et le personnel soignant, étaient partis du principe qu’elle mettait sciemment sa vie en danger. Comme si elle faisait exprès, et qu’il fallait la punir pour cela.

J’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de violence dans ce récit. Une violence sourde, qui ne se voit pas forcément mais qui laisse des séquelles. Une violence à la fois physique et psychologique, infligée par Alice elle-même ou par le personnel soignant. 

Et puis, il y a cette voix, celle de Sissi, ce petit diable sur l’épaule qui murmure constamment à l’oreille ses idées noires, emportant Alice plus loin encore dans les ténèbres. Je n’ai pas réalisé tout de suite que Sissi était une voix, car elle est tellement présente aux côtés d’Alice, que je l’ai d’abord prise pour une véritable personne. Au départ, Alice l’écoute comme une amie, qui distille de précieux conseils, mais au fil des pages, son moi profond prend conscience que Sissi la tire vers le bas, et elle tente de lutter contre ses paroles. Un combat qui doit demander tellement d’énergie à une jeune fille qui n’en a plus beaucoup. 

J’ai été particulièrement touchée par le passage où la narratrice explique l’anorexie, ce qu’elle fait à l’âme et au corps. Son côté pervers et néfaste, d’autant plus qu’elle n’est pas vraiment considérée comme une maladie par la société. Je suis ressortie de ce chapitre complètement retournée et je me suis rendue compte que jamais, avant ce témoignage, je ne m’en étais figurée les dessous. 

J’imagine le courage qu’il doit falloir pour s’en sortir. Surtout quand le personnel soignant ne trouve rien de mieux que de pratiquer le chantage, avec récompense à la clé, car selon eux, il suffit de vouloir pour pouvoir. Peut-on réellement envisager de soigner ce genre de maladie sans soigner l’esprit, sans même chercher à comprendre son origine ? Ce témoignage se déroulant dans les années 1990, j’ose espérer que la situation dans les hôpitaux est sensiblement différente aujourd’hui, et qu’un suivi psychologique est mis systématiquement en place.

Et puis, il y a ce journal de la mère, qui arrive un peu comme une délivrance et qui m’a bouleversée. Jusqu’à présent, nous n’avions d’elle qu’une image restreinte, esquissée par la perception d’Alice, à moins que ça ne soit celle de Sissi. Mais, on découvre une mère désemparée par ses propres limites à aider son enfant. Une mère à qui on n’explique rien, ou si peu et si mal qu’elle est aux prises avec un fort sentiment de culpabilité. « L’impuissance d’une mère face à la souffrance de son enfant est un naufrage qui ne connaît aucun rivage. »

J’ai été marquée par de très nombreux passages, qu’il s’agisse du sujet en lui-même ou de l’écriture, très incisive et tellement intense.

Tombée du ciel est un témoignage particulièrement impactant sur l’anorexie, où chaque phrase vous dévaste par sa vérité crue et la puissance des mots choisis. C’est tellement poignant, tellement acéré que ça serre le ventre, ça lessive et ça réveille ! Un témoignage qui mérite d’être mis en lumière, pour éveiller davantage les consciences.

Mon avis sur la version audio :

Comme toujours, l’interprétation d’Ariane Brousse est fabuleuse, d’une justesse saisissante. Elle incarne Alice dans toute sa douleur, et c’est tellement fort que j’ai été physiquement secouée. La colère s’est souvent invitée, et avec elle ce noeud à l’estomac qui vous donne envie de hurler. Une version audio aussi puissante que les mots !

Et comme les mots peuvent sembler parfois bien fades, rien de mieux que d’écouter un extrait pour se faire un avis.

Découvrir d’autres avis sur ce roman : 1001 chapitres, Les livres de K79, Ma petite révolution littéraire.

Infos & Quatrième de couverture


Tombée du ciel d’Alice Develey
Éditeur : Audiolib – Parution : 25/09/2024 – 7h22min – ISBN: 9791035417512 – Lu par Ariane Brousse.
Également disponible : 🎧 En audio chez L’Iconoclaste, 2024.

Alice a quatorze ans quand elle est internée dans un hôpital. Elle découvre un autre langage, un autre monde fait de blouses blanches et d’insomnies.
Comment tombe-t-on malade à cet âge ? Qu’est-ce qui peut conduire un enfant à cesser de s’alimenter ? Entre ces murs où elle subit des traitements révoltants, Alice rencontre d’autres filles comme elle, tombées du ciel. Elle décide de raconter ces vies minuscules dans un cahier. Écrire devient un moyen de ne pas oublier, et surtout de résister.
Tombée du ciel est un roman d’amitié, d’adolescence et de révolte.


En savoir plus sur Le murmure des âmes livres

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Cet article a 25 commentaires

  1. Fort heureusement, il y a eu beaucoup de progrès dans le traitement de l’anorexie, avec une prise en charge globale. C’est avant tout une maladie psychologique d’ailleurs et c’est bien ça le problème, les gens qui soignent ne savent pas ce qu’une personne anorexique peut vivre, penser… c’était donc d’autant plus difficile il y a plus de 30 ans, où aller voir un psy était signe de folie…La boulimie est d’ailleurs aussi considérée comme une maladie. Enfin ! Car d’un côté comme de l’autre, il y a beaucoup de souffrance… Je suis une ancienne boulimique et je me suis sentie bien seule face aux : « arrête de manger autant, de te goinfrer… » ces maladies sont souvent liés aux rapports avec la mère et c’est souvent les mères qui sont les premières à rejetter les problèmes alimentaires de leurs filles. C’est majoritairement des filles car elles réfléchissent beaucoup plus et ont une réflexion beaucoup plus affective des relations et des rapports aux autres. Je suis une ado et près adulte des années 90 et autant te dire que ces maladies n’étaient pas bien prises en charge. Si on était boulimique c’est qu’on aimait manger et qu’on ne savait que se goinfrer, si on était anorexique c’est parceque on voulait faire son intéressante !
    Je te rassure aujourd’hui c’est très bien pris en charge. Quand à moi, c’est une psychologue qui avait mis le mot boulimique en me donnant la clé pour comprendre. J’avais 29 ans… Le fait de enfin mettre un mot m’a aidé et je n’ai plus fait de crise de boulimie depuis 15 ans. Mais dès que je suis fortement contrariée, mon reflex est alimentaire.. pour combler le vide, on mange…
    Je ne lis pas de témoignages en général, c’est une forme de protection 😉

    1. Caroline

      Merci pour ton commentaire Julie ! Effectivement, ce sont des maladies avant tout psychologiques dont on ne peut pas facilement se défaire, surtout à cette époque, ou comme tu le dis, on ne les prenait pas correctement en charge, et où on avait tendance à très facilement juger. Cela me fait penser à d’autres maladies, comme l’alcoolisme par exemple, qui pour moi est aussi une maladie psychologique. Mais là encore, même de nos jours, on a tendance à juger les personnes qui en sont atteintes, en pensant que c’est de leur faute, qu’elles n’ont qu’à arrêter de boire. Si seulement c’était aussi simple.

      1. Sur l’alcoolisme à mon sens c’est autre chose. Car si tu penses que c’est une maladie, on peut aussi le dire du tabagisme ou autres. Pour moi ce sont plus des addictions dont le sevrage est très mal accompagné. C’est pareil quand tu fumes, tu n’arrives pas à arrêter, même si on te dit que c’est mauvais et que ça va te tuer. La différence avec l’alcool, c’est que tu deviens violent, tu perds la notion des choses donc c’est plus visible. L’anorexie ou la boulimie sont vraiment des maladies psychologiques et sont souvent liées à la relation à la mère.
        Par contre, il y a eu des études qui démontrent qu’il y a des profils plus sujets aux addictions.

  2. Je note ! Un récit qui a l’air terriblement fort à écouter.
    Sur le sujet, « Je suis une fille de l’hiver » de Laurie Halse Anderson m’a beaucoup marqué, il y a quelques années.

    1. Caroline

      Ah oui, quelqu’un m’a parlé de ce livre. Il faudra que je me penche dessus.

  3. J’ai tremblé en lisant ce livre… extrêmement touchant ♥️

    1. Caroline

      Oui, très touchant. L’autrice réussit particulièrement bien à partager son ressenti intérieur et c’est ce qui rend ce récit encore plus poignant.

  4. Lilou

    Ta chronique est très forte, comme ce livre sans aucun doute. L’anorexie est une maladie terrible et je ne suis pas certaine que les médecins savent encore bien ce qu’ils doivent faire. Il y a longtemps j’avais lu un témoignage poignant et terrible « Le Pavillon des enfants fous » de Valérie Valère sur son hospitalisation pour anorexie… elle s’en est « sortie » mais s’est suicidée malheureusement quelques années plus tard. C’est vraiment affreux cette maladie ! Merci pour ta chronique Caroline.

    1. Caroline

      Quelle tristesse ! C’est pour ça qu’un suivi psychologique est essentiel. Mais ce qui l’est aussi, c’est d’informer les gens sur la maladie. Parce qu’on n’imagine pas et qu’on est désemparés quand ça touche un proche.

  5. Ludivine

    Il suffit de vouloir pour pouvoir, si seulement la vie était aussi facile… J’imagine comme tu as dû être révoltée par le comportement des proches et du personnel soignant au cours de ta lecture. Merci pour cette découverte Caroline !

    1. Caroline

      Oui, ça prend aux tripes. Après, c’est un témoignage très subjectif, ce qu’Alice a ressenti, mais est-ce pour autant le reflet fidèle de la réalité ?

      1. Ludivine

        Ça doit être fidèle à sa vision de la réalité. Mais effectivement, c’est difficile de juger le comportement de l’entourage et du personnel en se basant uniquement sur le point de vue de la personne souffrante, surtout pour des maladies aussi complexes, qui tiennent plus de la souffrance psychologique que d’un simple trouble alimentaire. Cette lecture a dû amener tout un tas de questions aussi sur le sujet, tu me donnes envie d’en savoir plus.

  6. Tout ce qui touche à la maladie psychique me touche. L’anorexie en fait partie. L’histoire est originale. Et surtout ça a l’air poignant. Merci d’en avoir si bien parlé Caroline 🙂

    1. Caroline

      Je suis comme toi, pour les maladies psychiques. Tu vois, quand j’ai lu ces passages sur l’anorexie, eh bien j’y ai aussi trouvé des similitudes avec la dépression ou encore l’alcoolisme. Étrange, mais tout ça pour dire que l’esprit joue un grand rôle.

    1. Caroline

      C’est sûr qu’elle doit être très difficile à vivre, d’autant plus qu’elle a des conséquences physiques graves voire mortelles.

  7. Hedwige

    Sans avoir lu ce témoignage je pense que d’hospitaliser ainsi une jeune fille anorexique est la meilleure manière d’aggraver son trouble jusqu’à lui faire courir le risquer du suicide.
    Ce que tu dis de ce livre me touche énormément, Caroline, je ressens combien tu t’es fait proche de cette souffrance.
    J’espère trouver ce témoignage en audio ou en prêt.

    1. Caroline

      Malheureusement, je pense que l’hospitalisation est inévitable, car elle risquait de mourir. Ce qui m’a frappée c’est qu’on ne lui expliquait rien. Après, c’est un récit subjectif, où nous n’avons le point de vue que de la malade. J’imagine que le personnel soignant aurait un tout autre récit à raconter. Je suis contente d’avoir lu ce livre, même si je ne l’aurais pas du tout lu par moi-même.

  8. Pat0212

    Je pense que la prise en charge de cette maladie et de nombreuses autres s’est nettement améliorée depuis trente ans. Toutefois les patients psychiatriques ne sont pas toujours objectifs quand ils se prétendent maltraités (là c’est l’infirmière qui parle). Un livre qui ne me tente guère, même si je connais très peu cette maladie. Bonne journée

    1. Caroline

      Oui, c’est exactement ce qu’a souligné l’une des jurées du Prix et ce qu’elle a ressenti en lisant ce livre. C’est vrai que le récit est très subjectif, et certainement que c’est ce qu’elle a ressenti au plus profond d’elle-même. Cela étant, ce qui m’a surtout frappée, c’est la description de cette maladie. Cela doit être difficile de s’en sortir.

  9. Céline C.

    Merci Caroline ! Une découverte pour moi que ce roman. J’imagine que c’est un sujet difficile à traiter pour une auteure ; effectivement dans les années 90 les troubles du comportement alimentaire n’étaient pas pris en charge comme ils le sont aujourd’hui. L’anorexie est une maladie très complexe, et l’enfer que vit cette jeune fille doit être horrible à lire. Je ne sais pas si j’ai trop envie de me plonger dans ce type de récit en ce moment, malgré ton retour.

    1. Caroline

      Je te comprends, je ne m’y serais moi-même pas plongée s’il n’avait pas fait partie de la sélection du Prix Audiolib. Je suis contente de l’avoir lu, car je n’imaginais pas du tout l’enfer derrière cette maladie.

  10. Que c’est révoltant d’imaginer ce qu’on a fait subir à cette ado et à d’autres. J’imagine sans peine l’émotion qui a accompagné ta lecture.

    1. Caroline

      Oui, c’est un récit assez poignant, où tu ressens assez vivement les sentiments de la narratrice. On a du mal à croire que cela s’est passé dans les années 1990. Cela dit, il s’agit du ressenti d’Alice, de la façon dont elle voyait les choses, et nous n’avons donc qu’un seul point de vue sur cette histoire. Par contre, j’ai trouvé que l’anorexie et ce qu’elle fait au corps et à l’esprit était vraiment très bien expliqué, bien imagé, et ça m’a permis de mieux comprendre cette maladie.

      1. C’est un point important car en tant que personne extérieure, on peut avoir du mal à comprendre cette maladie.

Laisser un commentaire (Markdown)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.