Cabane d’Abel Quentin
Date de lecture : 1-3 août 2025
« Celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. »
Dans Cabane, Abel Quentin nous plonge dans les années soixante-dix, à l’époque de la publication du rapport Meadows, ou « Les limites de la croissance (dans un monde fini) ». Un rapport à l’initiative du Club de Rome et réalisé par quatre chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Dennis Meadows, Donella Meadows, Jørgen Randers et William W. Behrens III. Grâce à des simulations, ces derniers ont mis en évidence les limites de la croissance infinie dans un monde aux ressources limitées. La conclusion de cette étude fût sans appel : un effondrement global – économique, social, environnemental – qui nécessite de repenser entièrement nos modèles de développement et de renoncer à la croissance illimitée.
« Un seul scénario permettait d’envisager une issue favorable : mais c’était au prix d’un contrôle des naissances immédiat et draconien, et d’un changement non moins radical des modes de vie, de consommation et de production des habitants de la planète. »
S’inspirant de ce fameux rapport, l’auteur imagine une histoire autour de quatre chercheurs, et donne vie à ces personnages fictifs, le couple d’Américains Mildred et Eugene Dundee, le norvégien Johannes Gudsonn et le français Paul Quérillot. Il va retracer les cinquante années de leur existence depuis la publication de leur rapport, où tous ont pris une trajectoire différente, profondément « ébranlés par les conclusions de leurs travaux ».
On apprend, non sans effroi, les résultats de leurs simulations et le choc provoqué par leurs découvertes. Si au départ leur ouvrage fascine, déplace les gens en librairie, très vite, l’animosité s’invite. Comme tous les lanceurs d’alerte, ils se heurtent à la critique, souvent virulente, d’une population peu disposée à accepter leurs conclusions. Les Dundee, porte-paroles du rapport malgré eux, invités de nombreuses fois sur les plateaux ou pour donner des conférences, sont particulièrement visés. Eux qui, sensiblement optimistes, pensaient qu’alerter suffirait à éveiller les consciences et pousserait à réagir en conséquence, ont été désarmés face à l’ampleur du déni auquel ils ont dû faire face. Que faire quand personne ne vous écoute alors que vous savez pertinemment que le monde court à sa perte ?
« […] il lui arrivait, au cœur de la nuit, d’entendre le bruit de l’effondrement : le chant infernal des plateformes de forage, le craquement des glaciers, les hurlements d’enfants affamés. »
Quatre existences bouleversées, quatre personnages qui vont réagir plus ou moins bien face à l’inéluctable. On pourrait presque parler de choc post-traumatique, aussi, malgré leurs choix parfois discutables, ils m’ont tous sincèrement touchée. Les deux américains ont décidé de mener une vie autant que possible en adéquation avec leurs convictions personnelles. Une vie bien différente de celle du français, qui a choisi, comme la majorité de la population, de foncer droit dans le mur. Quant au norvégien, qui a préféré disparaître, on ne sait pas grand-chose de lui, jusqu’à ce que Rudy, un journaliste français, entreprenne de remonter sa piste.
Cabane est un roman absolument passionnant, porté par des personnages touchants – parfois un peu détestables, mais qui suis-je pour les juger. J’ignore quelle est la part de fiction et de réalité dans ce livre, mais au moins, c’est un récit qui interroge, qui pousse à la réflexion, qui invite à sortir la tête du sable et à affronter nos erreurs.

Extrait
« Qui étaient-ils, mes semblables ? Depuis quelques années, on voyait des petits jeunes proprets tout droit sortis de leur grande école devenir décroissants, des ingénieurs et des cadres supérieurs qui proposaient de renverser la table. À Polytechnique, HEC ou Agrotech, des garçons ou des filles prônaient la « désertion », ou la « bifurcation », refusant les offres alléchantes des grosses boîtes prodigues en CO2. Cette nouvelle génération d’écolos avait pour idole l’agronome Pablo Servigne, l’astrophysicien Aurélien Barreau ou l’ingénieur Jean-Marc Jancovici – pas un marrant celui-là, une dégaine à animer des séminaires de codage informatique et un sourire de professeur courtois mais ferme qui jouit perversement de siffler la fin de la récré, il était l’inventeur du concept de l’empreinte carbone, ses vidéos étaient regardées par des millions d’internautes, et Zones avait publié une enquête sur le sujet (« Le gourou s’habille en Quechua », no 44, juin 2020). »
Infos & Quatrième de couverture

Cabane d’Abel Quentin
Éditeur : L’Observatoire – Parution : 21/08/2024 – 480 pages – ISBN: 9791032925430.
Également disponible : 🎧 En audio chez Lizzie, 2024 ; 📕 En poche chez J’ai lu, 2025.
Berkeley, 1973. Département de dynamique des systèmes. Quatre jeunes chercheurs mettent les dernières touches au rapport qui va changer leur vie. Les résultats de l’IBM 360, alias « Gros Bébé », sont sans appel : si la croissance industrielle et démographique ne ralentit pas, le monde tel qu’on le connaît s’effondrera au cours du xxie siècle. Au sein de l’équipe, chacun réagit selon son tempérament ; le couple d’Américains, Mildred et Eugene Dundee, décide de monter sur le ring pour alerter l’opinion ; le Français Paul Quérillot songe à sa carrière et rêve de vivre vite ; et l’énigmatique Johannes Gudsonn, le Norvégien, surdoué des maths ? Gudsonn, on ne sait pas trop. Certains disent qu’il est devenu fou. De la tiède insouciance des seventies à la gueule de bois des années 2020, Cabane est le récit d’une traque, et la satire féroce d’une humanité qui danse au bord de l’abime.
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Merci beaucoup Caroline pour cette chronique. Comme je te le disais, c’est un roman que j’avais très envie de découvrir, mais j’ai hésité (j’avais déjà tenté son précédent, et je l’avais abandonné, n’ayant pas réussi à accroché à l’écriture). Pourtant le sujet me passionne, et je trouve intéressant cette idée de fiction à partir du fameux rapport Meadows (qui aurait dû conduire nos politiques vers un autre chemin … hélas, trois fois hélas, il n’en fut rien). Je vais le noter, on ne sait jamais, si je le croise 😉