Chronique – Le silence de Dennis Lehane

Le silence de Dennis Lehane

Policier, Roman noir

Date de lecture : 6-11 déc. 2023

Lecture audio → Roman lu par Marie Bouvier

« Il y a ceux qui se bagarrent et il y a ceux qui se barrent. Et ceux qui se barrent finissent toujours coincés dans une impasse, tôt ou tard. »

L’histoire se déroule à Boston en 1974, lors d’un été au contexte historique particulier, où la colère gronde sous la chaleur étouffante. En effet, pour mettre un terme à la ségrégation raciale au sein des établissements publics, un juge fédéral a imposé qu’un certain nombre d’élèves blancs de South Boston High et d’élèves noirs de Roxbury High School échangent de lycée à la rentrée prochaine. Un arrêté qui ne convient pas du tout aux parents des deux quartiers concernés et qui ne fait qu’attiser davantage la haine et les tensions raciales.

« Je n’ai pas peur d’aller à Roxbury High, m’man. C’est vous, les parents, qui transformez ça en cauchemar, pas nous, les jeunes. Nous, ça va. »

Pour son roman, Dennis Lehane a choisi une héroïne hors du commun, Mary Pat Fennessy, une femme blanche d’une quarantaine d’années aux origines irlandaise. Un personnage d’autant plus réaliste et humain qu’elle n’est pas exempte de défauts, ni sympathique au premier abord. C’est une femme « qui a l’air de sortir d’une chaîne de fabrication d’Irlandaises dures à cuire », qui a baigné dans la violence dès son plus jeune âge, qui croit dur comme fer aux “valeurs” portées par sa communauté. « On n’a peut-être pas grand-chose, mais on a le quartier. On a un code. On fait attention les uns aux autres. » Pourtant, elle m’a énormément touchée. Elle tente tant bien que mal de survivre et d’élever sa fille Jules, dans un quartier pauvre régi par la drogue. Quand Jules va disparaître soudainement, Mary Pat fera tout son possible pour la retrouver, même si pour cela elle doit briser les silences.

« Ils sont pauvres parce que la quantité de chance qui circule dans ce monde est limitée et qu’ils n’en ont jamais reçu la moindre part. »

Ce roman est un véritable cri du cœur. Il prend aux tripes dès les premières lignes. Mary Pat est dotée d’une personnalité incroyable, d’un courage et d’une force à faire pâlir tous les super héros de l’univers. Une force alimentée par son amour infini pour sa fille, et sa soif de retrouver son unique enfant encore en vie, quitte à se mettre à dos les voyous les plus dangereux de la ville.

Et que dire de cette autre mère, Calliope, dont le fils Auggie a perdu la vie dans des circonstances douteuses, alors qu’il était tombé en panne dans un quartier blanc. J’ai eu énormément de peine pour cette famille, d’autant plus en lisant les propos et les préjugés intolérables qui circulaient en ville et dans les médias.

« Je n’ai pas vu et je n’ai pas entendu. Parce que je ne le voulais pas. Parce que la vérité fait mal, la vérité a un coût, la vérité bouleverse votre monde. »

Au fil de son enquête, Mary Pat se trouve confrontée à des vérités difficiles, malgré tout, elle résiste, poursuivant son but sans relâche avec une détermination qui force l’admiration. Chaque nouvelle avancée la conduit à s’interroger sur son monde, sa personnalité, son éducation.

« L’herbe circule pas mal, ces temps-ci, Mary Pat ne l’ignore pas, et l’acide aussi. L’alcool, bien sûr ; à Southie, la plupart des gosses sortent du ventre de leur mère en serrant une Schlitz dans une main et un pack de Lucky Lager dans l’autre. Et, bien sûr, il y a aussi le Fléau, cette foutue poudre brune et ces putains d’aiguilles qui vous transforment un gosse bien vivant en cadavre, ou en futur cadavre, en moins d’un an. »

D’un point de vue officiel, l’enquête s’avère complexe, sachant que l’injustice et la corruption règnent sur la ville comme elles règnent sur le monde. Et les riches et les puissants ont tout intérêt à ce que cela ne change jamais. « Les riches font en sorte qu’on continue à se battre entre nous comme des chiens qui se disputent les miettes pour qu’on ne les attrape pas en train de se tirer avec le festin. » Dans ces conditions, j’ai admiré le travail de ce policier intègre, Bobby, qui ne flanche pas. Ce dernier porte un regard néanmoins lucide sur la société, conscient qu’à lui seul il ne peut pas faire évoluer les choses. Un personnage entier, plus tempéré que Mary Pat, qui m’a inspiré confiance et apaisée, là où l’énergie de Mary Pat me consumait parfois.

Entre intrigue policière et roman noir social, Le silence est un roman qui bouleverse à tout point de vue. C’est un roman engagé, puissant, empreint d’une violence et d’une frénésie qui le rendent inoubliable. Un roman terriblement d’actualité, avec un final en apothéose d’une rare intensité.

Mon avis sur la version audio :

La version audio Audiolib est lue par Marie Bouvier et elle est magistrale (la version et la narratrice) ! Rapidement, rage et colère ont envahi tout mon être, stimulées par l’interprétation extrêmement vivante de la narratrice. Cette dernière a su retranscrire avec une acuité extraordinaire le personnage de Mary Pat, ses intonations, la violence qui l’anime. En même temps, elle est tout aussi convaincante dans le rôle de Bobby, un personnage pourtant à l’opposé de Mary Pat. Une écoute formidable, que je recommande !

Infos & Quatrième de couverture

Le silence de Dennis Lehane
Éditeur : Audiolib – Parution : 30/08/2023 – Durée : 11h49min – ISBN/ASIN: 9791035414863 – Lu par Marie Bouvier – Genre : Roman noir – Titre original : Small Mercies
📕En grand format chez Gallmeister, 2023
📗En poche chez Gallmeister (Totem), 2024

En Californie, une adolescente noire est décidée à survivre, coûte que coûte, dans un monde qui se refuse à la protéger. Un premier roman coup de poing.

Été 1974, aux États Unis. Mary Pat est une mère célibataire qui vit à la dure dans  le  quartier irlandais de South Boston avec sa fille  de dix-sept ans, Julie –  “Jules“ pour tous. Toutes deux s’opposent à la politique de déségrégation de la ville, qui veut forcer  les lycéens blancs et noirs à aller en classe ensemble. Un soir, après une sortie avec ses amis, Jules ne rentre pas à la maison.  Le  lendemain, un jeune noir est retrouvé mort sur  les rails du métro. Une coïncidence sur laquelle  personne ne s’attarde. Mary Pat cherche désespérément sa fille, mais tous, Police, mafieux du quartier, famille, restent muets. Face à ce mur de  silence, elle  décide de prendre  les choses en main. Sa fille, elle  va la chercher elle-même. En colère, armée de sa détermination et de sa vieille voiture, Mary Pat luttera seule  pour faire éclater la vérité. Quitte à briser quelques jambes.
Grand roman américain, Le Silence met à nu le cœur sombre d’un pays à travers le portrait d’une mère farouche.