Chronique – Bunny Lake a disparu d’Evelyn Piper

Bunny Lake a disparu d’Evelyn Piper

Policier, Psychologique

Date de lecture : 10-11 mai 2025


« Dennis était un homme compétent, soigneux (trop soigneux), et si Dennis affirmait que la jeune femme n’avait pas toute sa raison, ce devait être vrai. »

Ce matin, Bunny Lake est entrée pour la première fois à l’école maternelle. Mais lorsque Blanche, sa mère, vient la chercher à la fin des cours, la petite est introuvable. Personne ne semble même l’avoir vue. Pourtant, Blanche l’a bien amenée le matin même. C’est vrai qu’elles étaient un peu en retard, et qu’elle a dû laisser sa fille seule dans une salle prévue à cet effet, en attendant l’arrivée, imminente, de la maîtresse. Pourtant, les membres de l’équipe encadrante sont formelles, jamais elles n’ont entendu parler de Bunny Lake.

Ce roman a quelque chose d’oppressant, surtout lorsqu’on se met à la place de cette jeune mère, qui se démène comme une folle pour retrouver son enfant. Elle tente de garder son sang-froid, mais doit faire face à un problème de taille, tout le monde, de la police à la directrice de l’école, semble croire que sa fille n’existe pas. La raison ? Blanche est une jeune mère célibataire de 21 ans, fragile, c’est évident (vous noterez le raccourci volontaire). De surcroît, elle vient d’emménager à New-York, et rien, dans son appartement, n’indique la présence d’une enfant. Dans le doute, on fait venir un psychiatre, qui va tenter de l’aider.

On va suivre la quête effrénée de cette femme, écouter ses hypothèses, parfois délirantes (mais qui ne céderait pas à la panique dans une telle situation ?), sur ce qui a pu arriver à sa fille. On oscille entre un sentiment de pitié (qu’a t’elle pu vivre de si tragique pour être convaincue d’avoir une petite fille ?) et un sentiment de colère envers toutes ces personnes qui la considèrent comme vulnérable et qui s’adressent à elle comme si elle était elle-même encore une enfant (et si elle disait la vérité ?). « […] pauvre enfant, si jeune, si jolie et si désespérée. » Le doute nous titille. Car si cette femme dit la vérité, et que sa fille a bel et bien disparu, la situation cauchemardesque qu’on lui fait vivre est doublement traumatique et révoltante. Que sa fille soit réelle ou imaginaire, le résultat est le même, elle est convaincue de son existence, et souffre le martyre.

Les réactions des personnes qui l’entourent sont souvent affligeantes – je pense surtout au psychiatre et, dans une moindre mesure, à son ami l’écrivain – et doublées d’une condescendance et d’un paternalisme à vomir. Pire encore, on a bien l’impression que si ces deux hommes lui viennent en aide, c’est parce qu’elle est jolie. « […] une jolie fille en détresse », qui permet à l’homme de se montrer valeureux et chevaleresque… Fort heureusement, les policiers, quant à eux, font plutôt bien leur travail. Leurs doutes, en ce qui les concerne, sont tout à fait légitimes, et ils observent toutes les pistes.

Il faut remettre le livre dans son contexte, il a été écrit en 1957, alors, on se doute bien que la condition de la femme, dans une société ultra patriarcale, était encore moins glorieuse qu’aujourd’hui. Et finalement, c’est davantage un livre sur ce sujet, que sur la disparition d’une enfant. Il y a d’ailleurs quelques passages sans doute très représentatifs de la pensée de l’époque, où les femmes elles-mêmes, mères de famille, se montrent hargneuses envers Blanche. Chacune y allant de son jugement, sans même connaître la situation de cette femme. Encore une qui met son enfant à l’école parce qu’elle veut rester tranquille chez elle à regarder la télévision ! Et la pauvre Blanche de se justifier, que non, qu’elle est obligée d’aller travailler, etc. Ça m’a fendu le coeur.

« Bunny Lake a disparu » est un roman oppressant, qui nous plonge dans le cauchemar d’une jeune femme en proie aux préjugés de son temps. Une bonne lecture, un peu ancrée dans son époque, mais qui a le mérite d’évoquer certaines thématiques et d’entretenir le suspense.

Infos & Quatrième de couverture


La disparition de Bunny Lake d’Evelyn Piper

Éditeur : Denoël – Parution : 17/05/2023 – 256 pages – ISBN: 9782207166420 – Titre original : Bunny Lake is Missing (1957) – Traduction : Jean Slavik.
Également disponible : 📕 En poche chez Folio, 2024.

Disparition inquiétante ou monumentale machination ? Blanche Lake, jeune mère célibataire, débarque à New York avec sa fille de trois ans, Bunny. Parce qu’elle doit travailler, Blanche laisse, le coeur lourd, son enfant à l’école maternelle pour la première fois. Le soir, lorsqu’elle vient la récupérer, Bunny est introuvable. Le plus stupéfiant étant que le personnel affirme n’avoir jamais vu la fillette. La police, chez qui se rend immédiatement la mère de famille, ne la prend guère au sérieux. Pire, elle la soupçonne de mentir et de mettre en scène un enlèvement. Quête hagarde et hypnotisante dans un New York des années cinquante à l’atmosphère hitchcockienne, ce roman aux accents féministes est un chef-d’oeuvre de machiavélisme et de suspense. Evelyn Piper est le pseudonyme de Merriam Modell (1908-1994), autrice américaine de thrillers. Bunny Lake a disparu est le plus fameux d’entre eux et a été adapté par Otto Preminger.


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